Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/912

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noblesse, dont tous les chefs de famille font partie de droit, ne représente que la noblesse même, c’est-à-dire un corps ne comptant, à vrai dire, dans l’état que par ses privilèges, et n’ayant plus par lui-même ni richesse, ni sérieuse influence morale, ni indépendance, puisqu’un bon nombre de ses membres, tout à fait ruinés, ont été très heureux de devenir fonctionnaires, d’assez médiocre étage quelquefois? Le clergé enfin, dans les nominations ou les élections duquel le pouvoir laïque intervient, et dont les principaux membres font de droit partie de la chambre ecclésiastique, qu’est-il autre chose qu’un corps de privilégiés et de fonctionnaires, se représentant lui-même tout comme la noblesse, représentant ses propres intérêts, ses espérances, même ses passions, avant d’exprimer les dispositions véritables du pays? Lors du récent vote de la diète suédoise relativement au projet de loi favorable à la tolérance proposé par le gouvernement du roi Oscar, bourgeois et paysans se sont trouvés d’accord pour accepter la nouvelle législation; nobles et prêtres se sont réunis dans un refus commun. Eh bien! nous le demandons à toute conscience impartiale, lequel des deux votes exprime avec le plus de fidélité le vœu de la nation, celui qu’ont émis les deux corps composés de privilégiés et de fonctionnaires, ou celui des deux ordres représentant la population qui, dans les villes et dans les campagnes, travaille, possède, produit, ne relève que de soi-même et point des faveurs dont peut disposer la royauté? Dans ce cas particulier d’ailleurs, la chambre du clergé n’était-elle pas juge dans sa propre cause? ne combattait-elle pas pro aris et focis, et ne savons-nous pas que celle de la noblesse a pu céder en cette occasion, comme on l’a vu faire plus d’une fois, à d’autres influences qu’au désir d’exprimer sincèrement l’opinion du pays?

La responsabilité du rejet des nouvelles mesures législatives qui devaient profiter à la tolérance religieuse doit donc être rejetée sur l’église elle-même et sur le gouvernement, dont la chambre des nobles a exprimé la pensée plutôt que la pensée de l’esprit public. En d’autres termes, la tolérance a été rejetée (puisque le partage égal des votes met à néant les propositions de changemens aux lois constitutives) par la seule église luthérienne suédoise, unie qu’elle est par son institution au pouvoir temporel, à l’état. Et encore on doit remarquer qu’il s’en faut de beaucoup que tous les membres du clergé suédois aient été complices de la majorité qui l’a emporté dans la diète. Est-ce là, nous le demandons, ce qu’on peut appeler l’expression sincère de l’opinion du pays? Il faut bien l’avouer, l’intolérance d’une église d’état, intolérance facile à comprendre et à peu près inséparable d’un tel établissement, voilà le fléau qui vient de faire commettre au gouvernement suédois un acte à la fois in-