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par la persécution de l’Angleterre ? N’est-il pas déplorable qu’un pays qui recèle d’admirables ressources, de magnifiques forêts et des mines inépuisables, auxquelles manquent les bras pour les exploiter, paralyse tous ces dons par le triste fléau qu’elle perpétue volontairement chez elle, l’anarchie résultant de la tyrannie religieuse?

Ne s’affirmant pas elle-même d’institution divine, l’église luthérienne suédoise ne peut alléguer d’autre raison d’être pour son établissement hiérarchique que l’institution humaine, issue d’un consentement de la nation; mais, outre l’absurdité évidente d’une autorité humaine s’imposant aux consciences comme règle et sanction, est-ce que le nombre immense des séparations volontaires n’a pas ébranlé suffisamment déjà l’unique base de l’édifice hiérarchique pour mettre l’église suédoise en demeure d’abdiquer son privilège et sa suprématie? Ce serait le moyen pour elle de s’assurer dans sa constitution nouvelle un peu de tranquillité. Bien plus, l’état est engagé dans le débat, et ce serait le seul moyen aussi de le préserver lui-même de grands dangers.

Vainement en effet, nous l’avons démontré, vainement l’église luthérienne suédoise veut-elle faire croire et croit-elle peut-être que, n’ayant d’autre alliée que la noblesse, et son vote étant contraire à ceux de la bourgeoisie et des paysans, elle représente encore l’opinion générale. C’est son principal argument, le seul qui soit spécieux; mais il n’a de force que par un côté, se retourne contre elle-même et sert à la combattre. Pour que cet argument eût la valeur qu’elle prétend lui donner, il faudrait que l’église suédoise tînt son mandat de la nation même, et il n’en est pas ainsi; il faudrait qu’oubliant ses intérêts particuliers, oubliant surtout ses passions et son intolérance, elle s’appliquât seulement à être l’écho de l’esprit public, et alors comment serait-elle en désaccord avec les deux ordres roturiers? Mais il est vrai encore, et c’est ici que l’arme se retourne contre elle, que cette part réservée à l’église dans toute expression de l’opinion nationale sert à défigurer celle-ci même, à lui enlever, avec les moyens de se faire entendre et de se faire obéir, toute énergie, et de la sorte ajourne éternellement toute réforme portant quelque atteinte à des privilèges consacrés. Nous avons vu, par l’histoire récente des deux églises norvégienne et danoise, que l’avènement des institutions libres dans l’un et l’autre des deux pays a été pour chacune de ces églises un signal d’abdication nécessaire et en même temps de repos. Il est permis de conclure de cette double expérience : d’une part, que nul progrès vraiment libéral, dans l’ordre civil ou politique, ne pourra désormais s’accomplir en Suède qu’au prix de la renonciation de l’église à sa position de corps privilégié; — de l’autre, que cette église n’acquerra pas autrement sa