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opéra-comique en trois actes, joué en l’année 1765, ont placé Philidor parmi les maîtres heureux qui ont le plus contribué à fonder un genre de spectacle où la musique, la gaieté du dialogue et le sentiment forment un ensemble d’effets tempérés qui a le privilège de plaire à la nation française. Philidor a écrit aussi plusieurs grands opéras : Ernelinde, en 1767, dont les chœurs sont restés célèbres ; Persée, poème de Quinault, réduit et remanié par Marmontel ; enfin Thémistocle, en trois actes, qui fut d’abord représenté à Fontainebleau le 3 octobre 1785, et l’année suivante à Paris. En 1777, Philidor fit un voyage à Londres, où il resta deux ans, et y fit paraître son grand traité du jeu d’échecs. On assure qu’il y gagna beaucoup d’argent à jouer aux échecs contre plusieurs adversaires à la fois. De retour à Paris, Philidor trouva Grétry maître de la situation et l’idole du public. Il n’essaya pas longtemps de lutter contre un rival de génie, et, après son opéra de Thémistocle, qui n’obtint qu’un succès d’estime, il se résigna à n’être plus que le premier joueur d’échecs de son temps. Il passait sa vie au café de la Régence, où il était entouré d’admirateurs et de disciples zélés. Inquiété par les troubles de la révolution, Philidor se réfugia à Londres, où il est mort le 30 août 1795. Comme Handel et le grand Sébastien Bach, Philidor est mort aveugle, ce qui ne l’empêchait pas de jouer aux échecs contre trois adversaires à la fois, et de gagner les trois parties qu’il menait de front.

On ne joue plus depuis longtemps les opéras de Philidor. Je n’ai jamais vu au théâtre aucun des ouvrages qui ont fait la réputation de ce compositeur distingué. J’ai lu quelques-unes de ses meilleures partitions, le Maréchal ferrant, Tom Jones, et plusieurs morceaux d’Ernelinde, qui, jusqu’à la fin de l’empire, faisaient encore partie du répertoire des concerts. Il y a de la franchise dans la musique du Maréchal ferrant, du rhythme surtout, et une certaine tenue de style assez rare parmi les musiciens d’instinct qui écrivaient alors pour l’Opéra-Comique. On pourrait citer de ce petit ouvrage, qui s’est longtemps maintenu au répertoire, l’air de basse de l’introduction : Chantant à pleine gorge, le trio piquant qui termine le premier acte, un air de soprano, un autre de ténor, petits morceaux où domine cette musique imitative qui a toujours été le côté faible de l’école française, et dont Grétry nous a donné la théorie dans ses mémoires. Dans Tom Jones, on remarque un très bel air de basse où sont reproduites avec verve et beaucoup de talent toutes les péripéties de la chasse. Dans ce genre de musique pittoresque, on n’a rien écrit de mieux que le morceau que je viens de citer. Il y a plus d’ampleur que de variété dans les chœurs de l’opéra d’Ernelinde, qui ont été pendant si longtemps l’objet de l’admiration des amateurs. Placé entre Monsigny, dont il n’a pas le naturel ni la sensibilité pénétrante, et Grétry, qui lui est supérieur par l’originalité et l’abondance des idées mélodiques, par la grâce, la verve et la souplesse de sa gaieté, Philidor, qui avait fait de meilleures études musicales que ses deux illustres contemporains, n’a pu, comme eux, survivre au temps qui l’a vu naître, et dans lequel s’est développé son talent, qu’on a beaucoup trop exagéré d’ailleurs. Aucun des ouvrages de Philidor ne pourrait être repris de nos jours avec quelque espoir de succès. La reprise du Déserteur, de Monsigny, a eu cent représentations il y a quel-