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aux sciences accessoires, l’histoire naturelle, la chimie, la minéralogie. En même temps il applique à l’administration rurale les habitudes exactes du commerce, cherche à établir une balance entre la dépense et le produit, non-seulement dans l’ensemble, mais dans le détail, et pour chaque nature d’exploitation : soins ingénieux qui ne le mettront pas à l’abri des écoles qui accompagnent un apprentissage! Il lui manque ce qu’aucune méthode ne remplace, l’amour du gain, l’esprit de défiance et la volonté de se défendre contre les petits pillages qui sont la plaie et l’écueil des cultures morcelées.

C’est au milieu de ces travaux que la chute de la branche aînée de Bourbon vient le surprendre. Il n’hésite pas, quitte Mugron et court à Bayonne pour s’y mêler au mouvement. La victoire du peuple l’enivre; il ne veut pas qu’elle demeure incomplète sur le petit théâtre où il lui est donné d’y concourir. Bayonne s’était prononcé; la citadelle seule tenait encore, le drapeau blanc continuait à y flotter, et on parlait en outre d’une concentration de troupes espagnoles sur la frontière. C’était un danger, et Bastiat ne fut pas des derniers à le signaler; la dynastie vaincue pouvait, en gardant Bayonne, s’appuyer sur l’Espagne et les Pyrénées, et s’en servir comme d’une base d’opérations pour soulever l’ouest et le midi. Il s’entendit avec quelques amis, rédigea une proclamation, forma un corps de six cents jeunes gens bien résolus, et ne désespéra pas de réduire la citadelle par un coup de main. Rien de plus animé, de plus martial que la lettre[1] où il expose ses plans et raconte ses craintes. « Il faut, dit-il, que le drapeau national soit arboré partout d’ici à ce soir; sans cela, je prévois dix ans de guerre civile, et quoique je ne doute pas du succès de la cause, je sacrifierais volontiers jusqu’à ma vie pour épargner ce fléau à nos misérables provinces. » Même avec la perspective d’un échec, il ne se décourage pas; il ira remuer la Chalosse, pendant que ses camarades en feront autant pour les Landes, le pays basque et le Béarn ; par ruse ou par force, ils amèneront la garnison à merci. Heureusement ces ardeurs juvéniles ne furent pas mises à l’épreuve; devant l’effet moral des événemens, toute résistance avait désarmé, et dans la journée même la citadelle ouvrit ses portes. Au lieu d’un combat, il y eut une fête; au lieu de sang, il ne coula que du punch et du vin. « Les officiers, dit Bastiat, étaient plus chauds que nous, comme des chevaux échappés sont plus gais que des chevaux libres. » Le sous-préfet, vaincu par l’opinion, s’était décidé à publier des ordres que, pendant quarante-huit heures, il avait tenus secrets; la révolution s’accomplissait paisiblement à Bayonne comme ailleurs, et le jeune économiste en fut pour ses plans de campagne.

  1. Lettre à M. Coudroy du 5 août 1830.