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sur ces formalités : notre chagrin va plus haut, et nous adresserons nos plaintes aux hommes publics sous la responsabilité desquels on place de telles injonctions et aux âmes élevées du catholicisme, au profit duquel on a l’air de prohiber en certains cas la circulation des bibles protestantes. Nous savons à quelles extrémités peuvent s’emporter les jalousies des propagandes rivales, et nous n’avons garde de chercher à les irriter par des appréciations blessantes. Nous ne discuterons donc pas si les sociétés qui lisent la Bible produisent des hommes plus intelligens et plus moraux que les peuples qui ne la lisent pas. C’est sur une autre considération que nous appellerons l’attention consciencieuse des hommes politiques et des catholiques véritablement religieux. Il est un fait malheureux, mais incontestable, c’est que depuis le XVIe siècle les peuples qui se nourrissent de la Bible sont, malgré les variations des sectes, demeurés foncièrement religieux, tandis que, chez les nations où la Bible n’est point lue, tout ce qui a été perdu par le catholicisme a été également perdu par le christianisme, et a été conquis par l’athéisme, le matérialisme et une brutale insouciance des intérêts de l’âme. Voilà ce qui s’est passé parmi les classes éclairées, et ce qui a poussé notre France du XVIIIe siècle en particulier dans des écarts si regrettables. Ce mal de l’irréligion ne s’étend-il pas au peuple? Quand on aurait établi le rapport des protestans aux catholiques dans chacun de nos départemens sur lequel se fonde l’exclusion portée contre la Bible, qui oserait dire que, dans le chiffre attribué aux catholiques, un grand nombre, la majorité peut-être, n’est pas pratiquement indifférent à l’exercice de l’un et de l’autre culte? La question qui se pose alors est celle-ci : faut-il laisser la foi religieuse s’éteindre au sein des populations absorbées par le travail matériel et corrompues par la misère? Ces âmes malheureusement grossières doivent-elles être abandonnées aux tentations d’un abject matérialisme? Ne forment-elles pas plutôt un champ moral sur lequel il faudrait appeler toutes les communions chrétiennes à exercer leur zèle? Ne vaut-il pas mieux que l’étincelle chrétienne aille communiquer dans ces régions désolées quelque chose de sa pureté et de sa force, même au risque d’y semer des protestans? On le voit, nous ne parlons pas aux passions, nous ne protestons point contre la violation de la liberté des cultes : nous nous adressons à ce sentiment de la bonne mère du jugement de Salomon, qui, plutôt que de disputer les membres de son enfant partagé, aimait mieux l’abandonner vivant à sa rivale. Nous voudrions empêcher que ce qui est perdu pour le catholicisme au sein du peuple fût perdu du même coup pour le christianisme et pour toute croyance. Nous souhaiterions que les diverses communions, inspirées par une émulation chrétienne, inondassent la France de bibles, persuadés qu’en dépit des variantes de traductions qui deviennent des contradictions dogmatiques aux yeux des théologiens, mais dont la subtilité échappe aux âmes simples, il resterait assez de flamme divine dans ce livre révéré pour élever la raison du peuple et pour nourrir et purifier en lui le sentiment de la responsabilité morale.

En demeurant fidèles aux doctrines libérales dans un temps où elles ont contre elles de si puissans ennemis, nous n’avons jamais compté sur la bienveillance des sectateurs des idées contraires aux nôtres. Exacts et modérés