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heures du jour, éclata tout à coup avec la violence habituelle aux grains des tropiques. J’envoyai quelques hommes déferler la misaine. Cette large voile, exposée au vent, qui soufflait heureusement de terre, ajouta à nos efforts tout l’effort de l’orage. Le navire glissa lentement dans des eaux plus profondes, et en moins d’une minute il se trouva complètement à flot. Je fis aussitôt raidir toutes nos amarres, le câble de la grosse ancre que j’avais mouillée la première, et le grelin de l’ancre à jet sur laquelle nous venions de nous hâler. Nous étions ainsi retenus de l’avant et de l’arrière. Étonné d’être sorti avec tant de facilité, et presque sans dommage, d’un aussi mauvais pas, je me serais bien gardé de tenter la moindre manœuvre avant le jour, de peur d’aller trébucher sur un nouvel écueil et de voir se fermer la porte de salut qu’une chance inespérée venait de nous ouvrir. La nuit ne fut pas pour cela entièrement perdue. Nous l’employâmes à mettre en place notre gouvernail, qui avait été seulement démonté, et dont les gonds étaient, grâce à Dieu, restés intacts. Pendant ce temps, les embarcations qui étaient allées exécuter des sondages tout autour de nous revinrent à bord du brick l’une après l’autre, et me rapportèrent des renseignemens bien peu faits pour me rassurer. De tous côtés, elles avaient reconnu des pâtés de roches sur lesquels il n’y avait pas plus de quatre ou cinq pieds d’eau. Nul ne pouvait deviner par quel canal nous avions pénétré au milieu de ce labyrinthe, ni par quelle issue nous en pourrions sortir. Enfin le jour parut : je montai moi-même sur les barres de grand perroquet, et je commençai à explorer soigneusement l’horizon. Partout la décoloration de l’eau annonçait des écueils sous-marins. Sur un seul point, il ne me parut pas impossible qu’on pût trouver un canal plus profond. J’expédiai immédiatement un canot de ce côté. Le retour de cette embarcation confirma mes conjectures; mais l’officier me prévint que ce canal, dont il avait constaté l’existence entre les récifs, était fort étroit, et que le vent régnant nous en ferait probablement manquer l’entrée. J’eus meilleur espoir : je fis orienter à l’avance toutes les voiles, et, dès que le bâtiment eut commencé à céder au vent, je donnai l’ordre de couper le câble de l’avant. Le brick continua à pivoter sur l’ancre qui le retenait encore de l’arrière, et bientôt je vis ses voiles se gonfler sous la brise. En ce moment, un coup de hache le délivra de sa dernière entrave. Il bondit comme un cheval dont la longe s’est rompue, et, suivant dans tous ses détours le mince ruban bleu qui serpentait à travers le récif, il se retrouva, au bout de quelques minutes, en pleine mer. Nous laissions deux ancres derrière nous; mais c’était une perte de peu d’importance, et tout à fait hors de proportion avec le danger que nous avions couru. Lorsque nous