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Ma traversée de Cayenne à la Guadeloupe fut prompte et facile. Le neuvième jour après mon départ, je pris connaissance de l’île de la Désirade; il ne me restait plus qu’à éviter la rencontre de la croisière anglaise qui se tenait d’ordinaire sous le vent de la Guadeloupe, et bloquait étroitement l’entrée de la Pointe-à-Pitre. Il existait heureusement sur la côte opposée de l’île une autre baie connue sous le nom de port Mahault, dont l’accès était peu commode, mais dont le blocus était aussi moins rigoureux par l’excellente raison qu’il était beaucoup plus difficile. Ce fut de ce côté qu’à la faveur de la nuit je dirigeai mon bâtiment. Dès que le jour parut, je donnai hardiment au milieu des récifs; bien qu’un pilote fût venu à mon aide, je n’atteignis pas le fond de cette baie dangereuse sans m’être échoué deux fois sur les bancs de coraux dont le canal même est encombré. La corvette la Vénus, qui, quelques jours après nous, vint se réfugier à ce même mouillage, s’échoua comme le Milan. La Vénus n’en fut pas quitte, comme ce brick, pour un simple échouage : elle perdit sa fausse quille, démonta son gouvernail et ne put se remettre à flot qu’après deux jours de travail. Tels étaient les mouillages que nous étions contraints de chercher depuis la guerre. Ce n’était pas sans une profonde répugnance que j’avais obtempéré à l’ordre de me rendre à la Guadeloupe. Je devais y retrouver, investis du commandement et des premiers emplois de la colonie, les persécuteurs de mon père, les membres du tribunal révolutionnaire de Rochefort. Le souvenir de leurs odieux jugemens et du deuil dans lequel ils avaient plongé tant de familles était encore trop récent pour ne pas faire bouillonner tout mon sang dans mes veines. La réception qui me fut faite fut des plus gracieuses. Malgré les offres séduisantes par lesquelles on essaya d’éveiller et de captiver mon ambition, je vis arriver avec joie le moment de quitter des parages où tout me rappelait des ressentimens que je n’ai jamais complètement oubliés.

Le 27 novembre 1796, je sortis de la baie Mahault. Mon premier soin fut de régler la ration d’eau qui serait délivrée à chaque homme de l’équipage. J’avais une longue traversée à accomplir : il fallait en prévoir les chances les plus contraires et s’y préparer de bonne heure par une sage économie. Je venais de doubler l’île de la Désirade, lorsque j’aperçus deux frégates qui se couvrirent à l’instant de voiles pour me donner la chasse. La brise était fraîche. Je jugeai bientôt que j’avais sur les bâtimens qui me poursuivaient un grand avantage de marche, et pour leur prouver ma confiance, je donnai l’ordre d’amener les perroquets. Cette manœuvre eut l’effet que j’en attendais. Les frégates découragées levèrent la chasse et me laissèrent libre de profiter de toutes les