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Ils ne s’ouvrirent avec déférence que devant l’impassible Stangstadius, qui venait, avec une glace, faire la dernière épreuve, disant que le médecin était un âne incapable de constater le décès. Si Christian eût été moins occupé de son côté, il eût entendu plusieurs voix dire : Ne reste-t-il plus d’espérance ? sur un ton qui disait clairement : Pourvu qu’il soit bien trépassé ! Mais Christian n’avait pas une pensée pour son héritage, il voulait voir Stenson, et il exigeait que Johan le fît paraître sur l’heure ou le conduisît lui-même auprès du vieillard.

— Lâchez cet homme, lui dit le ministre, vous l’étranglez, et il est hors d’état de vous répondre.

— Je ne l’étrangle pas du tout, répondit Christian, qui en effet avait grand soin de ne pas compromettre la vie de celui auquel il voulait arracher des révélations.

Cependant le rusé Johan avait fait son profit des bonnes intentions de M. Akerström. Ne voulant pas parler, il feignit de s’évanouir, et le ministre blâma Christian de sa brutalité, tandis que les valets, inquiets du sort qui leur était réservé si les redresseurs de torts commençaient leur office, se montrèrent beaucoup plus disposés à défendre Johan qu’à céder devant un inconnu.

Quand Johan se vit assez entouré et assez appuyé pour reprendre son audace, il recouvra lestement la parole, et s’écria d’une voix retentissante qui domina le tumulte de l’appartement : — Monsieur le ministre, je vous dénonce un intrigant et un imposteur, qui, à l’aide d’un infernal roman, prétend se faire passer ici pour l’unique héritier de la baronnie ! Abandonnez-moi donc à sa vengeance, vous qui me haïssez, ajouta-t-il en s’adressant aux héritiers, et à présent que le maître n’est plus, vous n’aurez plus personne pour déjouer les infâmes machinations de M. Goefle, car c’est lui qui a inventé ce chevalier d’industrie et qui se vante de faire prévaloir son droit sur tous les vôtres.

Si la foudre fût tombée au milieu de l’assistance, elle n’aurait pas produit plus d’effroi et de stupeur que les paroles de Johan ; mais, comme il s’y attendait bien, une réaction subite s’opéra, et un chœur d’injures et de malédictions couvrit la voix de Christian, que le ministre appelait à se justifier ou à s’expliquer. — Chassez-le ! qu’il soit honteusement chassé ! disaient les cousins et neveux du défunt avec véhémence.

— Non, non ! criait Johan, aidé de ses complices, qui comprenaient fort bien que le jour des révélations était venu, et qu’il fallait réduire les vengeurs au silence ; faisons-le prisonnier. À la tour ! à la tour !

— Oui, oui, à la tour ! hurla le baron de Lindenwald, un des héritiers les plus âpres à la curée.