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donnerait les idées les plus noires. Tenez ! n’est-ce pas cela que j’entends ?

— Je crois bien que oui, répondit Christian ; mais vous n’emmenez donc pas la comtesse… votre nièce ? — Et il ajouta fort hypocritement : Je suis un grand sot de ne pas me rappeler son nom !

— Vous êtes un grand fourbe ! répondit en riant la comtesse ; vous lui avez fait la cour, puisque vous avez provoqué le baron pour l’amour d’elle. Eh bien ! je ne m’en scandalise pas, c’est de votre âge, et après tout vous avez montré, en tenant tête à ce pauvre baron, qui était un fort méchant homme, une témérité qui ne m’a pas déplu. Il y a du bon en vous, je m’y connais, et je vois maintenant combien peu convenaient à votre caractère les leçons de souplesse et de prudence que je vous avais données ce jour-là. Vous êtes dans un autre chemin, car il y en a deux pour parvenir, l’adresse ou la témérité. Eh bien ! vous êtes peut-être dans le plus court, celui des mauvaises têtes et des audacieux. Il faut aller en Russie, mon cher. Vous êtes beau et hardi ; j’ai parlé de vous avec l’ambassadeur ; il vous a remarqué, et il a des desseins sur vous. Vous m’entendez bien ?

— Pas le moins du monde, madame la comtesse !

— Oh ! que si fait ! Le crédit d’Orlof ne peut pas être éternel, et certains intérêts peuvent vouloir combattre les siens… À présent vous m’entendez de reste ? Donc ne pensez pas à ma nièce ; vous pouvez prétendre à une plus belle fortune, et comme, pour le moment, vous n’êtes rien, pas même le neveu de M. Goefle, qui ne vous avoue même pas pour son bâtard, je vous avertis que je vous mettrais à la porte, si vous vous présentiez chez moi dans la sotte intention de plaire à Marguerite ; tandis que je vous attends à Stockholm pour vous présenter à l’ambassadeur, qui vous prendra à son service. Donc à revoir !… ou plutôt attendez, je vous emmène !

— Vraiment ?

— Vraiment oui. Je laisse ici ma nièce, qui, effrayée des rugissemens du moribond, a été passer la nuit au presbytère avec Mlle  Akeström, son amie, du moins à ce que prétend sa gouvernante. En quelque lieu que cette poltronne se soit réfugiée, Mlle  Potin partira aujourd’hui avec elle pour Dalby sous la conduite de Péterson, un homme de confiance. M. Stangstadius m’a promis de les accompagner. Ce sera un grand crève-cœur pour la petite, qui se flattait de venir avec moi à Stockholm ; mais elle est trop jeune encore, elle ne ferait que des sottises dans le monde. Son début est remis à l’année prochaine.

— Ainsi, dit Christian, elle passera encore une année toute seule dans son vieux manoir ?

— Ah ! je vois qu’elle vous a conté ses peines. C’est fort touchant,