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avait mis à sa liberté la condition qu’elle signerait la déclaration d’une grossesse simulée, et comme elle s’y refusait, disant qu’elle voulait bien s’accuser d’erreur, mais non d’imposture, on lui avait laissé voir de graves soupçons sur l’événement qu’elle avait tant à cœur de cacher. Dès lors, tremblant qu’on ne vînt à découvrir la naissance et la retraite de son fils et à le faire périr, elle signa cette pièce, rédigée par le pasteur Mickelson.

« Mais, devant Dieu et les hommes, disait-elle dans sa nouvelle déclaration, je proteste ici contre ma propre signature, et fais serment qu’elle m’a été arrachée par la violence et la terreur. Si en cette circonstance j’ai, pour la première fois de ma vie, trahi la vérité, toutes les mères comprendront ma faute, et Dieu me la pardonnera. »

Une fois en possession de cette terrible pièce, le baron, craignant une rétractation ou la révélation de ses violences, avait formellement refusé la liberté à sa victime, déclarant qu’elle était folle, et faisant son possible pour qu’elle le devînt par un système d’étroite captivité, de privations, d’insultes et de terreurs. Quelques paysans ayant eu le courage de lui témoigner de la sympathie et d’essayer de la délivrer, il les avait fait battre à la russe dans la chambre de garde, et elle avait entendu leurs cris. Il avait menacé Stenson et Karine du même traitement, s’ils insistaient encore pour que la liberté fût rendue à la baronne, et ces fidèles amis avaient dû feindre de vouloir lui complaire pour n’être pas séparés de leur infortunée maîtresse.

Enfin la souffrance et la douleur avaient vaincu les forces de la victime. Elle avait décliné rapidement, et, se sentant mourir, elle avait écrit pour son fils le récit de ses maux, en le conjurant de ne jamais chercher à en tirer vengeance, si des circonstances impossibles à prévoir lui faisaient découvrir le mystère de sa naissance avant la mort du baron. Elle était convaincue qu’en quelque lieu de la terre que son fils fût caché, cet homme implacable, riche et puissant saurait l’atteindre. Elle faisait des vœux pour qu’il vécût longtemps « dans la médiocrité, dans l’ignorance de ses droits, et pour qu’il eût l’amour des arts ou des sciences bien plutôt que celui des richesses et du pouvoir, source de tant de maux et de cruelles passions sur la terre. » La pauvre mère ajoutait néanmoins, dans la prévision de futurs éclaircissemens, que son fils, à qui elle avait donné le nom d’Adelstan Christian, avait, en naissant, les cheveux noirs et les doigts « faits comme ceux de son père et de son aïeul. » Puis, en lui donnant sa suprême bénédiction, elle lui recommandait de regarder comme sacrée la parole de Stenson et de Karine sur la vérité de tous les faits qu’ils pourraient lui transmettre, sur les souf-