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elle lui dit : — Père et ami des affligés, tu connais Karine Bœtsoï ; tu sais que son âme n’est ni coupable ni trompeuse. Elle te connaît aussi, elle sait que la vérité du Seigneur est sur tes lèvres. Elle te demande pourquoi sonne le beffroi du château neuf ; ce que tu lui diras, elle le croira.

— Le beffroi sonne la mort, répondit le ministre ; tes oreilles ne t’ont pas trompée. Depuis longtemps, Karine, je sais qu’un secret te pèse. Tu peux parler maintenant, et peut-être tu peux guérir : le baron Olaüs n’est plus !

— Je le savais, dit-elle ; le grand iarl m’est apparu cette nuit. Il m’a dit : Je m’en vais pour toujours,… et j’ai senti mon âme renaître. À présent je parlerai, parce que l’enfant du lac doit revenir. Je l’ai vu aussi en songe !

— Ne nous parle pas de tes songes, Karine, reprit le ministre ; tâche de recueillir tes souvenirs. Si tu veux que l’esprit de lumière et de tranquillité revienne en toi par la grâce du Seigneur, fais un effort pour revenir toi-même à la soumission et à l’humilité, car, je te l’ai dit souvent, il y a de l’orgueil dans ta démence, et tu prétends lire dans l’avenir, quand tu es incapable peut-être de raconter le passé.

Karine resta interdite et rêveuse un instant, puis elle répondit : — Si le bon pasteur de Waldemora, aussi doux et aussi humain que celui d’auparavant était farouche et cruel, m’ordonne de dire le passé, je dirai le passé !

— Je te l’ordonne et je te le demande, dit le pasteur ; dis-le avec calme, et songe que Dieu entend et pèse chacune de tes paroles.

Karine se recueillit encore et dit : — Nous voici dans la chambre où s’est endormie pour toujours la maîtresse bien-aimée !

— Est-ce Hilda de Waldemora que tu appelles ainsi ?

— C’est elle, c’est la veuve du bon jeune iarl et la mère de l’enfant qui se nomme Christian, et qui doit revenir bientôt pour rallumer la chandelle de Noël au foyer de ses pères. Elle a donné le jour à cet enfant au milieu de la lune de hœst, ici, dans ce lit, où elle est morte à la fin de la lune de jul[1]. Elle l’a béni ici, auprès de cette fenêtre par où il s’est envolé, car il était né avec des ailes ! Et puis elle a menti en disant dans son cœur : « Que Dieu me pardonne de tuer mon fils par ma parole ! mais il vaut mieux qu’il vive parmi les elfes que parmi les hommes. » Elle l’a ensuite chanté sur la harpe, et quand elle est morte, elle m’a dit : Que Dieu rende une mère à mon fils ! — Ici Karine, ramenée au souvenir de la réalité, se prit à pleurer ; puis ses idées se troublèrent, et le ministre, voyant

  1. Jul, décembre, hœst, septembre.