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— Ne me touchez pas, lui dit Christian ; je suis tout noir de poudre et de fumée.

— Ah ! Cela m’est bien égal, reprit-elle, puisque c’est vous ! Je sais tout maintenant ! Les mineurs qui nous conduisent nous ont longuement parlé d’un Christian qui est grand savant et grand ouvrier, qui ne dit pas son nom, mais qui a la force d’un paysan et la dignité d’un iarl, qui est courageux pour tous et dévoué à tous. Eh bien ! nos amis n’ont pas songé que ce pouvait être vous : il y a tant de Christian sous le ciel Scandinave ! mais moi je me suis dit : Il n’y en a qu’un, et c’est lui ! Voyons, donnez-moi donc la main ; ne sommes-nous pas toujours frère et sœur comme là-bas ?

Comment Christian n’eût-il pas oublié la petite insulte du gant essuyé ? Marguerite lui tendait sa main nue. — Vous ne rougissez donc pas de me voir ici ? lui dit-il ; vous savez donc bien que ce n’est pas l’inconduite qui m’y a amené ? et que si je travaille aujourd’hui, ce n’est pas pour réparer des jours de paresse et de folie ?

— Je ne sais rien de vous, répondit Marguerite, sinon que vous avez tenu la parole donnée autrefois au major Larrson, d’être mineur ou chasseur d’ours plutôt que de continuer un état qui me déplaisait !

— Et moi, Marguerite, je ne sais rien de vous non plus, reprit Christian, sinon que votre tante doit vouloir vous faire épouser le baron de Lindenwald, contre qui j’ai, à ce qu’il paraît, perdu mon procès.

— C’est vrai, dit Marguerite en riant. Ma tante veut me consoler par là de la mort du baron Olaüs ; mais puisque vous devinez si bien les choses, vous devez savoir aussi que je ne compte pas me marier du tout.

Christian comprit cette résolution, qui lui laissait son espérance entière. Il jura dans son cœur qu’il ferait fortune, fallût-il devenir égoïste. Quoi qu’il put dire, Marguerite ne voulut jamais consentir à protéger son incognito auprès du lieutenant et de la famille du ministre, qui arrivaient au milieu de leur tête-à-tête. — C’est lui ! s’écria-t-elle en courant vers eux, c’est notre ami du Stollborg, vous m’entendez bien ! c’est ce Christian, cet ami des pauvres, le héros de la mine ; c’est le baron sans baronnie, mais non pas sans honneur et sans cœur, et si vous n’êtes pas aussi heureux que moi de le revoir…

— Nous le sommes tous ! s’écria le ministre en serrant les mains de Christian. Il donne ici un grand exemple de vraie noblesse et de saine religion.

Christian, accablé de caresses, d’éloges et de questions, dut promettre d’aller souper dans le village avec ses amis, qui comptaient