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de ne pouvoir avancer aucune affaire avec le mystérieux amphitryon ; mais elle s’en dédommageait en établissant l’empire de ses charmes sur l’ambassadeur de Russie. Quant aux dames âgées, les matinées et les après-midi se passaient pour elles en visites reçues et rendues dans les appartemens respectifs avec beaucoup de cérémonie et de solennité. Là, on s’entretenait toujours des mêmes choses, du beau temps de la saison, de la magnifique hospitalité du châtelain, de son grand esprit un peu malicieux, de son indisposition, qu’il supportait avec un si grand courage pour ne pas troubler les plaisirs de ses convives, et en disant cela on étouffait d’homériques bâillemens. Et puis on parlait politique et on se disputait avec aigreur, ce qui n’empêchait pas que l’on ne parlât religion d’une manière édifiante. Le plus souvent on disait aux personnes qui venaient d’entrer tout le mal possible de celles qui venaient de sortir.

Les seuls esprits qui pussent lutter avec succès contre le froid de cette atmosphère morale, c’était une vingtaine de jeunes gens des deux sexes, qui, avec ou sans l’agrément de leurs familles, avaient vite noué entre eux des liaisons de cœur plus ou moins tendres, et qui, par leur libre réunion à presque toutes les heures du jour, se servaient de chaperons ou de confidens les uns aux autres. À cette bonne jeunesse se joignaient quelques personnes plus âgées, mais bienveillantes et d’un caractère gai, les gouvernantes comme Mlle  Potin, la famille du pasteur, groupe choyé et considéré dans toutes les réunions champêtres, quelques vieux campagnards sans prétention et sans intrigue, le jeune médecin du baron, quand il pouvait s’échapper des griffes de son tyrannique et rusé malade ; enfin l’illustre Stangstadius, quand on pouvait s’emparer de lui et le retenir par des taquineries sous forme de complimens hyperboliques, dont il ne suspectait jamais la sincérité, même quand ils s’adressaient aux agrémens de sa personne.

La collation de l’aftonward fut donc aussi enjouée que les autres jours, bien que le géologue n’y parût pas, et le jeune monde, comme disaient les matrones, ne s’aperçut pas de la figure soucieuse et agitée des valets, lesquels n’étaient pas aussi dupes de la légère indisposition de leur maître qu’ils voulaient bien le laisser croire à ceux d’entre eux qui faisaient métier d’espionner les autres.

Après la collation, on déclara que c’était assez écouter les exploits des chasseurs, et Martina proposa de reprendre un amusement qui avait eu beaucoup de succès la veille, et qui consistait à se cacher et à se chercher les uns les autres dans une partie des bâtimens du château. Instinctivement on fuyait certain pavillon réservé aux appartemens isolés du châtelain, et peut-être, sans en rien faire pa-