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— Blasion, répondit-elle, vous avez un bien méchant caractère. Revenez, et vous verrez que vous vous êtes trompé. Revenez, je vous attendrai.

— Tu m’attendras ? s’écria-t-il, et il semblait à moitié fou ; tu m’attendras ! Oui, oui, je reviendrai.

Le château devint triste après le départ de Blasion. Le bouvier qui le remplaça était un jeune garçon plein de gaieté, qui chantait du matin au soir ; mais la joie de la maison, Ménine, était devenue pensive et grave. Elle regrettait Blasion, elle avait peur de Saint-Jean, elle plaignait Janouet. Celui-ci, comprenant qu’elle ne se laisserait ni acheter ni intimider, essaya un autre moyen. Un matin il vint la trouver dans la cuisine, et sans s’inquiéter si les portes étaient ouvertes : — Ménine, dit-il, veux— tu de moi pour galant ?

— Non, dit-elle en essayant de sourire, vous savez bien que je ne veux pas de galant.

— Cependant tu as bien voulu que Blasion fût ton galant.

— Celui-là sera mon mari.

— Moi aussi, je veux être ton mari.

— Non, dit-elle, vous êtes trop riche ; la dame ne voudrait pas.

— Je suis mon maître…

— Non, non, dit-elle en l’interrompant, c’est impossible. Ne parlons pas de cela.

— Oh ! tu ne m’aimes pas, et tu aimes Blasion. Rappelle-toi le temps où tous trois nous étions enfans et où nous gardions les troupeaux dans les landes : tu m’aimais autant que lui alors. Qu’ai-je fait pour que tu ne m’aimes plus ?

— Rien, dit-elle ; je vous aime toujours bien, mais je ne veux pas de vous pour mari. Vous devez épouser une demoiselle, laissez-moi où je suis, cela vaudra mieux pour tous deux. Vous me permettrez de glaner un peu de bois mort dans vos forêts ; vous ne me tourmenterez pas, si mes brebis s’écartent dans vos landes. Voilà tout ce que je vous demande, et nous resterons amis.

Ces mots avaient été prononcés d’une voix calme et ferme. Janouet laconnaissait, il savait qu’elle était inébranlable dans ses résolutions.

— Ménine, s’écria-t-il, tu me tues !

— Non, dit-elle, on ne meurt pas d’amour à notre âge… Mais je veux vous prouver que je suis votre amie. N’écoutez pas trop ce Saint-Jean, c’est un mauvais homme : il vous fera faire des folies.

— Et moi je veux l’écouter, dit-il ; il n’y a que lui qui m’aime. Je veux faire toutes les folies qu’il me conseillera de faire, et s’il arrive des malheurs, c’est toi qui en seras cause.

En effet, il quitta le château le lendemain, et commença à remplir le pays du bruit de ses aventures. Il semblait qu’il cherchât à s’étourdir en se livrant à des débauches de toute nature. Saint-Jean