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vous certain de bien savoir ce que vous dites ? Le baron n’est-il pas gravement malade ce soir, et pendant que vous rôdez comme une ombre dans le vieux château, savez-vous bien ce qui se passe dans le château neuf ?

— Je viens de voir M. le baron il y a un instant, répondit Johan avec son éternel sourire d’impertinente humilité. M. le baron est tout à fait bien, et c’est parce qu’il m’envoie ici que je me vois forcé, à mon grand regret, d’être excessivement importun. Je dois cependant ajouter que M. le baron désire vivement causer avec l’honorable monsieur Goefle pendant la comédie des marionnettes.

— J’irai, c’est bien. Je vous souhaite le bonsoir.

Et M. Goefle ferma la porte au nez de Johan désappointé.

— Pourquoi donc ces précautions ? lui dit Christian, sortant de sa retraite, d’où il avait écouté ce dialogue.

— Parce qu’il se passe ici quelque chose que j’étais en train de vouloir vous dire, et que je ne comprends pas, répondit le docteur en droit. Toute la journée, ce Johan, qui est bien, si j’en juge par sa mine et par l’opinion de Stenson, la plus détestable canaille qui existe, n’a fait autre chose que de rôder dans le Stollborg, et c’est vous qui êtes l’objet de sa curiosité. Il a interrogé sur votre compte d’abord Stenson, qui ne vous connaît pas, et qui ne sait que d’aujourd’hui (précisément par ce Johan) que nous demeurons ici, vous et moi. Ledit Johan a ensuite causé longtemps dans l’écurie avec votre valet Puffo, et dans la cuisine du gaard avec Ulphilas. Il eût fait causer Nils, si je ne l’eusse tenu près de moi toute la journée. Je crois même que ce mouchard a essayé de confesser votre âne !

— Heureusement ce brave Jean est la discrétion même, dit Christian. Je ne vois pas ce qui vous inquiète dans les manœuvres de ce laquais pour voir ma figure : je suis habitué à exciter cette curiosité depuis que j’ai repris le masque ; mais je vais me débarrasser pour toujours de ce mystère puéril et de ces puériles persécutions. Puisqu’il faut retourner ce soir au château, j’y retourne à visage découvert.

— Non, Christian, ne le faites pas, je vous le défends. Encore deux ou trois jours de prudence ! Il y a ici un gros secret à découvrir : je le découvrirai, ou j’y perdrai mon nom ; mais il ne faut pas qu’on voie votre figure. Il ne faut même plus la montrer à Ulf. Je ne vous quitte pas, je vous garde à vue. Un danger vous menace très certainement. L’oblique regard de Johan n’est pas le seul que j’aie vu briller dans les couloirs du Stollborg. Aujourd’hui, à la nuit tombée, ou je me trompe fort, ou j’ai aperçu un certain escogriffe, décoré par le baron son maître du nom fantastique de capitaine Chimère, qui se promenait autour du donjon sur la glace. Avec