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et en dernier ressort sur le bon droit et la validité des actes de l’administration. Mais la justice, les tribunaux, n’ont-ils pas un rôle dans tout cela, et quel est-il ? La justice a un rôle dans cette lutte, et un rôle important, auquel il ne lui est pas permis de se soustraire, alors même qu’elle en serait tentée : c’est de venir, aussitôt qu’on l’invoque, prêter main-forte à l’administration, et sanctionner par des peines le respect qu’on doit aux décisions de l’autorité. Si en effet vous vous êtes passé d’autorisation préalable pour vous réunir, ou si vous n’avez pas tenu compte du refus ou du retrait de cette autorisation, vous avez par cela seul commis un délit incontestable, et le devoir étroit des tribunaux est de vous en punir. Vous paierez donc l’amende, et vous irez méditer en prison sur les moyens de concilier l’article 5 de la charte, qui vous accorde la liberté d’exercer votre culte et de le répandre, avec l’article 291 du code pénal, qui ajoute nettement : Pourvu qu’au préalable l’administration ait jugé à propos d’y consentir.

Les concilier ! la tâche n’était pas facile. Il y a aujourd’hui plus de quarante ans que ces articles se font la guerre, et il faudrait mal connaître notre pays pour ne pas deviner auquel des deux est incessamment dévolue la victoire. Le caractère général et vague de la déclaration constitutionnelle doit toujours succomber devant la précision et la netteté de la loi préventive. La charte est d’un côté qui, selon l’usage français, proclame en termes magnifiques la liberté de tout le monde ; mais le code est de l’autre qui, dans un esprit plus français encore, affirme en termes exprès qu’il ne s’agit que de dix-neuf personnes, et qu’au-delà de ce nombre vous ne pouvez prier ou prêcher sans l’aveu préalable de l’administration. L’article de la charte n’avait pas de sanction, ou du moins il avait une sanction assez vaguement définie, « le patriotisme de tous les Français. » L’article du code a une sanction infiniment plus claire, d’un usage plus simple et plus commode, l’amende et la prison, et cette sanction, tout tribunal est tenu de l’appliquer à moins qu’il ne veuille méconnaître le sens évident, la stricte prescription de la loi. Ajoutez à ces causes d’inégalité entre les deux articles rivaux cette puissante organisation administrative que l’Europe nous envie, selon la formule consacrée ; représentez-vous la persistance et l’esprit de suite de cette administration, son inviolabilité légale, puisqu’on ne peut la poursuivre dans la personne du plus infime de ses membres sans l’aveu du conseil d’état, qui peut seul vous livrer le coupable après l’avoir fait descendre par une sorte d’excommunication au rang des simples citoyens ; pensez un instant à l’isolement, à l’impuissance où nous nous trouvons, tous tant que nous sommes, en face de cette irrésistible machine qui, outre sa force mécanique, a une pensée,