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en effet, mais on ne put encore se résigner à le croire, et il fallut pour en convaincre tout le monde un arrêt de la cour de cassation, qui déclara en termes exprès que le décret du 25 mars ne comportait aucune distinction ni exception, et embrassait en conséquence toutes les réunions ayant pour objet l’exercice d’un culte : c’est l’arrêt du 9 décembre 1853, rendu à l’occasion de réunions religieuses qui avaient eu lieu à Mamers.

A tout prendre, le décret du 25 mars a rendu un incontestable service à la magistrature et au public. Les termes brefs et clairs de ce décret se refusent à toute équivoque ; ils conviennent et suffisent à la rédaction des considérans à intervenir contre ceux qui seraient tentés d’en méconnaître l’application au régime des cultes. Les tribunaux ne sont plus réduits à peser ensemble et séparément, pour les mettre aux prises, l’article 5 de la charte et l’article 291 du code pénal ; encore moins sont-ils réduits à faire de la loi d’avril 1834 un usage que les chambres et le ministère avaient prévu et explicitement interdit. Il suffit aujourd’hui de citer le décret du 25 mars 1852 pour convaincre les plus incrédules qu’il concerne les cultes comme tout le reste, et que nul en France ne peut légalement exercer son culte, encore moins le répandre, sans l’aveu préalable et sans l’autorisation spéciale de l’administration.

Quel usage l’administration a-t-elle fait, pendant ces six années, de ce pouvoir discrétionnaire qui n’est pas nouveau, comme nous venons de le montrer, mais qui jadis paraissait plus contestable et pouvait être tempéré jusqu’à un certain point par le jeu de nos institutions, par nos habitudes de discussion et de publicité ? Nous laisserons de côté les actes pour nous renfermer dans la théorie pure, et c’est a priori que nous déclarons l’usage d’un pareil pouvoir fort difficile à concilier dans la pratique avec la liberté des cultes. M. de Broglie a certainement parlé avec plus de force que personne contre l’existence de ce pouvoir : eh bien ! nous ne voudrions pas en confier l’exercice à M. de Broglie lui-même, et nous aurions la conscience singulièrement troublée, si on nous l’imposait avec l’obligation de nous en servir. C’est qu’il suffit d’un moment d’attention pour comprendre que le gouvernement le plus juste et le plus sage, chargé d’un tel pouvoir, serait hors d’état d’en faire un usage impartial et favorable à la liberté religieuse.

Qu’est-ce en effet que la liberté religieuse ? Nous ne croyons pas avoir besoin de rappeler qu’elle consiste au moins autant dans le droit de répandre son culte que dans le droit de l’exercer. Lorsque nous parlons, par exemple, de la liberté des cultes en Angleterre ou aux États-Unis, voulons-nous dire seulement que dans ces contrées on souffre l’exercice de la religion catholique à côté de la religion