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services auxquels il est tenu. Celui-ci se trouve dans la position faite chez nous, au moyen âge, au serf abonné, tandis que le paysan russe est encore taillable et corvéable à grâce et merci. Tout se traduit pour lui en charge matérielle. Cependant on trouverait difficilement en Russie quelque chose d’analogue aux coutumes étranges consacrées par les usages féodaux. En place des droits honorifiques absurdes ou injurieux, ridicules ou avilissans, qui s’étaient conservés en France jusqu’à l’époque de la révolution, on ne rencontre que des droits utiles, dont le caractère positif exclut toute autre idée que celle du bénéfice du seigneur. Le serf y devient un véritable outil vivant, il ne retient guère de l’âme humaine que le nom sous lequel il figure comme élément de la fortune du maître. L’auteur d’un ouvrage sur les paysans de France, M. Leymarie, a énuméré les droits honorifiques que la féodalité imposait aux tenanciers : un seigneur russe se soucierait peu d’une alouette, liée sur un char à bœufs, ou bien d’un serin placé dans une voiture à quatre chevaux; il n’aurait jamais imaginé d’exiger deux peaux de mouche à la Saint-Martin. Il vise à quelque chose de plus solide, et sait calculer. Si l’obrok s’est généralisé dans les provinces russes du nord, tandis que la bartchina se maintient dans les contrées du midi, cela tient à ce que partout le propriétaire d’âmes s’ingénie à en tirer le parti le plus productif. Quand le sol est peu fertile et d’une culture ingrate, le cultivateur doit chercher un autre emploi de ses bras et de son temps, afin d’obtenir les moyens de pourvoir à sa subsistance et de s’acquitter des charges qui lui sont imposées. L’intérêt du propriétaire prescrit alors la conversion de la corvée en une sorte de rente personnelle, qui permet au serf d’employer librement ses forces et ses facultés. Celui-ci se livre à diverses industries locales, ou bien il va chercher fortune ailleurs. L’obrok s’est établi dans les contrées où il y a peu de terres arables et où les bras de l’ouvrier rencontrent un emploi facile. Au contraire, quand le sol est fertile, quand des récoltes abondantes trouvent un débouché avantageux, le propriétaire conserve la corvée, à moins qu’il ne veuille se décharger de tout soin personnel et de tout souci d’exploitation. Il en résulte qu’à l’inverse de ce qui s’est pratiqué dans les pays où l’extension du fermage et de la censive a coïncidé avec l’amélioration des procédés agricoles, les progrès de la culture rendent en Russie la corvée plus générale. Des propriétaires riches, actifs, éclairés, ont, dans ces derniers temps, essayé de tirer la production agricole d’un état de déplorable infériorité : pour y réussir, ils ont transformé en corvées les redevances de leurs paysans. Aussi les prestations personnelles, loin de perdre du terrain, se multiplient, et c’est plutôt l’obrok qui décline. Si les mesures d’émancipation ne venaient point contrarier cette tendance, la forme