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en accuser. Le pays présente peu de ressources; les propriétaires se montrent exigeans, les salaires sont réduits sans que le cultivateur puisse porter ailleurs son industrie et son travail : un élément artificiel de contrainte locale trouble l’équilibre naturel de l’offre et de la demande des bras. Enfin dans ces deux provinces le fermier n’a obtenu sa liberté qu’au prix du droit de possession héréditaire de sa ferme, qui lui était assuré par la coutume et par des lois récentes, et à chaque renouvellement de bail les prétentions du propriétaire se sont accrues. Il y avait pour le cultivateur, en vertu de ces précédens, sinon un droit absolu de co-propriété, du moins un état d’indivision usufructuaire dont on aurait dû tenir compte, comme on a essayé de le faire plus tard. Nous ne prétendons en rien affaiblir les teintes sombres du tableau, mais il est juste d’ajouter que si l’homme subit avec une résignation muette et passive un sort qu’il lui est impossible de changer, la liberté étend à la fois ses désirs et ses espérances. Les aspirations nouvelles des paysans de l’Esthonie et de la Livonie s’expliquent par la liberté même dont ils commencent à subir l’influence; elles viennent de ce qu’ils ont vu un autre horizon s’ouvrir devant leurs efforts, de ce qu’ils peuvent se plaindre et rechercher une condition meilleure.

L’histoire de l’abolition du servage dans les provinces baltiques, loin de fournir des armes aux partisans obstinés du statu quo, est de nature à rassurer les amis de la liberté. Certes les procédés admis en Courlande ne sont pas les meilleurs, et cependant la liberté du travail et des conventions a pu s’y établir avec profit; les corvées ont été progressivement abolies, le système du fermage a conquis du terrain, et le sol, mieux exploité, grâce à la restriction des cultures seigneuriales, s’est prêté à une production plus riche et plus abondante. L’activité individuelle, les lumières et la bonne volonté des propriétaires ont su faire pencher la balance du côté de l’intérêt général. En Livonie et en Esthonie, on a essayé de refaire la loi plutôt que de travailler à modifier les habitudes, on a eu recours au mécanisme des formes, au lieu de faire appel à l’intelligence et à la force morale. Les craintes que pouvaient inspirer une perturbation agricole et les excès d’une population servile rendue à la liberté s’étaient dissipées; il fallait en profiter pour créer de bons rapports avec les paysans. On s’est montré au contraire dur et exigeant à leur égard; les propriétaires ont abusé de la liberté du contrat de ferme et de louage, qui leur donnait non-seulement l’avantage relatif que procurent les lumières et la richesse, mais encore celui d’une prépondérance inévitable sur des fermiers et des ouvriers auxquels il était interdit de quitter la province. En présence d’une pareille condition, le marché cessait d’être libre, et la loi aurait dû stipuler des garanties particulières pour le paysan. Puisqu’on limitait l’appli-