Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’ordre nouveau ait à son service autant de fonctionnaires gratuits et dévoués qu’il y a de propriétaires animés d’un véritable esprit public et de cette charité évangélique dont ils ne sauraient assez se pénétrer pour relever la condition matérielle et morale des paysans.

On ne rencontre point, du moins dans les vastes provinces de la Grande-Russie, qui sont le cœur de l’empire, cette séparation profonde et ces haines invétérées que créait la diversité des races dans les provinces baltiques. Les paysans, soit par le régime de l’obrok, soit par l’aisance relative qui règne, dans les terres des grands propriétaires, parmi les serfs soumis à la bartchina, sont mieux préparés aux mesures d’émancipation que ne l’étaient les cultivateurs de l’Esthonie et de la Livonie, et les circonstances sont devenues plus favorables. On peut donc agir sans crainte; mais qu’on se rappelle surtout que la liberté du travail ne doit point connaître d’entraves, que l’équilibre équitable des salaires a besoin pour se produire d’une complète facilité de mouvement et de l’égalité des droits. Il ne faut point arrêter par des douanes factices le transport de la plus précieuse des marchandises, le travail de l’homme : l’exemple des provinces baltiques est là pour servir d’avertissement. La population doit avoir la faculté de changer de domicile sans changer de lois; aussi la réforme, pour porter tous ses fruits, doit, comme nous avons déjà essayé de le montrer, s’étendre aux paysans de la couronne comme aux paysans seigneuriaux. Le récent ukase sur les paysans des apanages prouve que l’empereur comprend cette nécessité, et qu’il tend à établir une législation uniforme.

Les provinces baltiques avaient toutefois dans leurs institutions locales une garantie qui manque au reste de la Russie, et dont l’absence peut susciter de graves dangers. L’autocrate règne d’une manière absolue, mais administre peu, heureusement pour le pays. Il faut cependant que celui-ci soit administré sans l’intervention onéreuse et oppressive des employés. La commune, mieux organisée, dégagée de l’élément communiste, et le concours actif des propriétaires actuels devront pourvoir à cette nécessité publique, en produisant quelque chose de correspondant, sinon d’analogue, au self-government des provinces baltiques. Il importe d’éviter avant tout que l’émancipation des paysans serve à multiplier les abus de la centralisation et les excès de l’absolutisme.

L’œuvre accomplie dans les provinces baltiques devait, suivant la pensée d’Alexandre Ier, conduire à la suppression du servage dans les autres parties de l’empire : le tsar n’eut ni l’énergie ni le temps nécessaires pour une pareille entreprise. Il avait, peu de temps après l’émancipation des paysans dans les trois provinces allemandes, réuni un gouvernement russe, celui de Pskov, sous l’autorité du