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village avec miss Merton qu’il s’attaque à elle-même, et avec une douceur sans égale l’amène à lui confier ses chagrins. À dater de ce jour, il s’établit entre M. Eden et Susan Merton une de ces fortes amitiés qui n’existent guère, croyons-nous, en dehors des pays peuplés par la race anglo-saxonne, mais qui, disons-le à son éternel honneur, paraissent à celle-ci ce qu’il y a de plus naturel au monde.

Ce que Frank Eden est pour miss Merton, il le devient aussi pour chacun des malheureux auprès desquels plus tard l’appelle son devoir comme chapelain de la prison de***. Aucun d’eux ne lui résiste, car tous finissent par être réellement convaincus de l’intérêt que leur porte M. Eden ; ils sentent que cette sympathie est véritable, genuine, et que ce qu’ils font de mal afflige sincèrement et au fond de son cœur l’homme que son ministère place à leurs côtés, et dans lequel ils commencent par ne voir qu’un « clergyman comme un autre. » De tous les prisonniers avec lesquels M. Eden a des rapports, le plus récalcitrant est Tom Robinson, d’abord parce qu’il croit que le sort a été injuste envers lui, que ce qu’il souffre est plus qu’il n’a mérité, et ensuite parce qu’il a été victime de la lâcheté du prédécesseur de M. Eden, lequel n’a pas osé le défendre près du gouverneur de la geôle. Tom met toute la force de son caractère et de son intelligence vraiment grande à résister à M. Eden, et il lui résiste en effet. Pendant assez longtemps, le chapelain ne sait comment se mettre en communication avec le voleur, qui ne veut même pas échanger une seule parole avec qui que ce soit, et qui se montre absolument impénétrable à tout ce qui vient du dehors. « Je n’aime pas vous voir entrer chez celui-là, monsieur, dit un jour à Frank Eden un des porte-clés dont il s’est concilié le bon vouloir. — Pourquoi ? demande le chapelain. — Mais, monsieur, s’il allait essayer de vous assommer ? (If he should pitch into you ?) — M. Eden sourit. — Il aurait en ce cas affaire à quelqu’un de deux fois plus fort que lui, et de plus élève de Bendigo[1] ! Ne perdez donc pas la carte, Evans, avec vos frayeurs. »

Ici nous retrouvons le hardi lutteur qui, quel que soit l’événement, est toujours prêt à y faire face. C’est l’Anglais dans toute la force du terme, celui dont Shakspeare a dit : I dare do all that should become a man ; who dares de more is none (j’ose tout ce qu’il convient à un homme d’oser ; celui qui ose davantage n’en est pas un). La lutte que va entreprendre M. Eden contre le brutal gouverneur de la geôle, M. Hawes, réclame d’ailleurs une énergie indomptable. M. Hawes est la personnification de la volonté mise au service de l’égoïsme. La force, la capacité de vouloir y sont, mais la direc-

  1. Boxeur fort célèbre.