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REVUE. — CHRONIQUE.

plus perfectionnés, disposant d’un capital de roulement et d’un crédit suffisant, dirigée par un homme habile, pourrait produire à bon marché et supporter la concurrence étrangère ; telle autre exploitée inhabilement ou avec des ressources insuffisantes succomberait à la concurrence. Il devrait être bien entendu qu’en aucun cas la protection ne serait due aux établissemens industriels placés dans des conditions radicalement mauvaises, et qu’il serait absurde que le pays, comme cela se voit sous le régime actuel, fît vivre à ses dépens les maladroits et les incapables. Le degré de la protection ne devrait être fixé qu’à la mesure des établissemens les plus avancés dans chaque branche d’industrie. Enfin il faudrait toujours, dans la pondération des tarifs, tenir compte de l’intérêt du trésor, qui peut être singulièrement favorisé par l’admission de produits étrangers de grande consommation avec des droits de douane peu élevés ; il faudrait être résolu à ne jamais subordonner les convenances de cet intérêt national aux exigences des intérêts protectionnistes, qui entravent par la prohibition ou par la protection de droits exorbitans le développement des revenus publics. Ceci convenu, il nous semble que la réforme commerciale pourrait s’accomplir en trois étapes successives.

Dans la première période, l’état devrait donner l’exemple des sacrifices, bien sûr de trouver sur-le-champ pour lui-même et pour le pays une riche compensation. Il commencerait par renoncer aux droits qui pèsent encore chez nous sur les matières premières les plus importantes de l’industrie, le coton par exemple et la laine. On croit rêver, lorsqu’on voit le coton en laine soumis encore en 1858 à un droit élevé. Comment l’état pourrait-il amener les industries défendues par la prohibition ou la protection à renoncer à une partie des avantages que notre douane leur donne contre les produits similaires de l’étranger, s’il ne leur permettait pas d’acheter les matières premières aux prix que paient les étrangers ? Avant tout donc, abolition des droits sur les matières premières, ensuite remplacement des prohibitions qui frappent les objets manufacturés par des droits protecteurs qui ne dépasseraient point 30 pour 100 de la valeur, et enfin réduction des droits protecteurs sur les objets demi-manufacturés à une moyenne de 15 pour 100 de la valeur. Telle devrait être l’expérimentation de la première période. Peu d’années suffiraient, sous ce régime, pour stimuler notre industrie, pour lui ouvrir de nouveaux débouchés, pour grossir ses capitaux des épargnes obtenues sur le prix réduit des marchandises, et pour la mettre en état de produire à meilleur compte, c’est-à-dire de faire un pas de plus dans la voie de la concurrence. Alors on entrerait dans la seconde période, où il serait possible de remanier les tarifs de façon à ramener à 15 pour 100 de la valeur le maximum de la protection. Enfin la troisième phase, lorsque l’expérience en marquerait l’heure, serait celle de la franchise complète des relations commerciales, sauf pour les marchandises où l’intérêt fiscal pourrait sans inconvénient entrer en partage avec l’intérêt des consommateurs. Telle est, si l’on veut réussir en ménageant les intérêts vraiment avouables, la marche à suivre pour la réalisation progressive en France de la réforme commerciale. Il y a là pour l’essor des forces économiques de la France tout un avenir dont l’imagination peut à peine embrasser les riches