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REVUE. — CHRONIQUE.

En attendant les progrès de la colonisation algérienne, que de localités sur notre propre territoire dont la position ou les ressources demeurent encore inexploitées ! Une de ces promenades auxquelles invite la saison, et que les chemins de fer rendent aujourd’hui si faciles, nous a conduits le mois dernier vers un de ces lieux dont l’industrie humaine est en train de s’emparer, mais auxquels elle est loin encore d’avoir donné leur importance définitive. Nous voulons parler de Saint-Nazaire. Si l’on veut avoir une idée de la façon incohérente et saccadée dont s’élève en quelques mois une ville californienne, on peut aller chercher ce spectacle à Saint-Nazaire, qui était un hameau il y a un an, et qui sera peut-être un de nos grands ports de commerce avant dix années. Saint-Nazaire, à qui l’embouchure de la Loire forme une rade splendide, possède un magnifique bassin, plus grand d’un tiers que le bassin de Cherbourg récemment immergé. Les gros navires qui ne peuvent remonter la Loire jusqu’à Nantes opèrent là leurs déchargemens, et les marchandises reçues sur les rails du chemin de fer remontent en quelques heures vers la vieille capitale commerçante du bassin de la Loire. Que deviendra ce nouveau port ? Nantes, à qui il est nécessaire, prend ombrage de cette création qu’elle a demandée elle-même. En tout cas, à l’heure qu’il est, Saint-Nazaire est une agglomération d’émigrans grossissante à vue d’œil. D’immenses rues y sont tracées, et partout comme au hasard s’y élèvent des constructions de toute sorte, depuis la maison parisienne à porte cochère, et gouvernée par un portier, jusqu’à la taverne des matelots. Du reste, pas de voirie organisée, pas de fontaines, pas de police. Il y a deux ans, Saint-Nazaire était un village, aujourd’hui c’est une ville ; mais c’est la municipalité du village qui administrera la ville jusqu’aux prochaines élections, c’est-à-dire pendant je ne sais encore combien d’années. Des émigrans américains fondant une ville n’auraient point assurément la patience de nos Nazaréens ; en France, où nous ne savons pas faire nos affaires nous-mêmes, il faut bien appeler l’attention du gouvernement sur cette situation bizarre de Saint-Nazaire, dont les progrès seraient bien plus rapides, si une commission municipale intelligente remplaçait un conseil qui n’avait jamais songé, lorsqu’il fut élu, qu’il aurait à administrer une ville.

Un autre bond de la locomotive nous emportait ces jours derniers à la frontière d’un pays ami, dans cette Savoie où ne finit pas encore la France, et où il semble que va commencer l’Italie. On inaugurait le pont de Culoz, magnifique travail qui unit, par-dessus le Rhône, le chemin de Genève au chemin de Victor-Emmanuel, et qui, lorsque le Mont-Cenis sera percé, soudera le réseau italien au réseau français. En traçant la route ferrée de la France à travers une des Alpes les j)lus hautes et les plus épaisses, M. de Cavour a bien donné encore la mesure de la persévérante audace qu’il apporte dans toutes ses entreprises. Nous croyons, comme les ingénieurs qui nous en ont parlé, au succès de ce gigantesque travail ; mais M. de Cavour a, dans la mission politique qu’il remplit au nord de l’Italie, d’autres Mont-Cenis à percer. Il faut, par exemple, qu’il en finisse avec cette opposition aveugle du parti clérical, qui ose se plaindre, avec des avantages matériels et moraux comme aucun clergé catholique n’en possède plus en