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genre et de toute nature qu’il aurait continué à prodiguer autour de lui, c’eût été quelque chose de fortifiant, de salutaire, que pendant dix ou quinze ans peut-être son laborieux pinceau pût s’exercer encore, qu’il pût soit achever, soit créer a nouveau quelques-unes des toiles qu’il rêvait, œuvres de peintre et de poète, conçues comme toujours dans les régions de l’idéal, étudiées avec persévérance, exécutées avec la fraîcheur d’idées et l’émotion d’un esprit toujours jeune, mêlées aux réflexions savantes de l’expérience et de la maturité.

À défaut de ce qu’il aurait pu faire, nous essaierons ici de rappeler ce qu’il a fait. Ce sera toujours un enseignement, et des plus opportuns, que cette longue série d’œuvres intelligentes, que cette vie de travail, que cette élévation constante de sentimens et de pensées. En recueillant nos souvenirs, nous dirons franchement tout ce qu’ils nous rappellent. Ce n’est point un panégyrique que nous entreprenons, c’est un hommage impartial et sincère à la mémoire d’un homme qui aimait la vérité et qui savait l’entendre. Vivant, il nous autorisait à la lui dire, nous ne la tairons point sur sa tombe. Nul mieux que lui ne connaissait, nul n’indiquait avec plus de finesse les côtés vulnérables de son savoir et de son talent. Nul aussi n’était meilleur juge du mérite des autres et du sien. Pour rester dans la juste mesure de la critique et de l’éloge, nous ne souhaitons que de parler de lui comme il en eût parlé lui-même. Mettre dans son vrai jour le caractère de ses ouvrages, le genre de facultés qui dominait en lui, ce qui le distinguait de ses rivaux de gloire, marquer les phases successives, les degrés qu’il a parcourus, le rôle qu’il a joué et la part qu’il a prise au mouvement des esprits de son temps, voilà ce que nous tenterons d’abord.

Ce ne sera pas tout : ne parler que du peintre serait faire une incomplète histoire. Certains artistes, il est vrai, n’existent que par leurs œuvres. Hors de ce qu’ils ont fait, ils ne sont pas, il n’y a rien à en dire. Leur personne est un accessoire dont il vaut mieux ne point parler. Scheffer au contraire, si habile et si haut placé qu’il fût dans son art, était de sa personne peut-être encore supérieur à ses œuvres. On donnerait donc de lui une imparfaite idée en ne faisant voir que ce qu’il a produit. Ce qu’il était, ce qu’il valait par lui-même, sans palette ni pinceaux ; ce qu’il avait d’esprit, ce qu’en mainte occasion il avait eu de courage et de cœur, voilà le complément de cette vie d’artiste. Nous essaierons de ne pas l’oublier.


Ary Scheffer était né, vers 1795, à Dordrecht, en Hollande. On pourra donc un jour, comme à Philippe de Champagne, lui refuser