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de songer à nous faire belles, nous n’avons pensé qu’à regarder par la fenêtre de ma chambre, et à tâcher de voir à travers le brouillard ce qui se passait sur le lac. Hélas ! c’était bien impossible ; on ne distinguait pas seulement la place du Stollborg. Alors nous écoutions de toutes nos oreilles : dans le brouillard épais, on entend quelquefois les moindres bruits ; mais on faisait, au château et autour des fossés, un vacarme de fanfares et de boîtes d’artifice, comme si on eût voulu justement nous empêcher d’entendre les bruits d’une querelle ou d’une bataille. Et le temps s’écoulait, … lorsque tout à coup la peur a pris Marguerite…

— Et vous aussi, chère Martina, dit Marguerite confuse.

— C’est vous, chère amie, qui m’avez communiqué cette peur-là, reprit la fiancée du lieutenant avec candeur. Enfin, comme deux folles, nous voilà parties avec Péterson, persuadées que nous rencontrerions le major et ses amis qui nous rassureraient, et que, grâce à Péterson, qui ne se perd jamais, nous les remettrions sur la route du vieux château, s’ils l’avaient perdue. Nous sommes donc venues à pied, et nous n’avons pas trop erré au hasard, si ce n’est que nous nous sommes trouvées arriver par le côté du gaard, au lieu de pouvoir marcher droit par celui du préau. Péterson nous a dit : « C’est égal, nous entrerons bien par ici. » Et en effet nous voilà, sans trop savoir par où nous sommes entrées ; mais dans tout cela nous n’avons rencontré personne, et rassurées sur votre compte, nous devons, je crois, commencer à nous inquiéter sérieusement du major… et des autres officiers.

— Ah ! Marguerite ! dit Christian, bas à la jeune comtesse, pendant que M. Goefle, Martina et Péterson se consultaient pour savoir ce qu’il y avait à faire, vous êtes venue ainsi…

— Devais-je, répondit-elle, laisser assassiner un homme comme M. Goefle, sans essayer de lui porter secours ?

— Non, certes, reprit Christian, dont la reconnaissance était trop sincère et trop vive pour manquer à la délicatesse par un mouvement de fatuité : vous ne le deviez pas ; mais votre courage n’en est pas moins grand. Vous pouviez les rencontrer, ces bandits ! Bien peu de femmes auraient poussé le dévouement, l’humanité, … jusqu’à venir elles-mêmes…

— Martina est venue avec moi, répondit vivement Marguerite.

— Martina est la fiancée du lieutenant, reprit Christian. Elle n’aurait peut-être pas pu se résoudre à venir pour… M. Goefle ?

— Je vous demande pardon, monsieur Christian, elle serait venue pour… n’importe qui, du moment qu’il s’agit de la vie de son semblable ! Mais occupez-vous donc de savoir si ces messieurs arrivent, car enfin je ne vois pas que le danger soit passé.

— Oui, oui, dit Christian, rassemblant ses idées, il y a du dan-