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l’écueil, et se porte aussitôt dans un sens tout contraire. Les Bergers conduits par l’ange, les Rois mages déposant leurs présens, voilà les sujets qu’il s’impose, sujets sans énigme à coup sûr et sans métaphysique. Il les traite avec simplicité, comme des études, sans parti pris, sans recherche, peut-être même sans se permettre une assez grande originalité. Ces lieux communs de la peinture, ces vieux thèmes consacrés ne veulent pas qu’on les brode ; mais, sans les altérer, on peut les rajeunir par un certain accent individuel. Scheffer, vers cette époque, fit bien d’autres essais, un Christ soutenu par l’ange au Jardin des Olives, un Christ portant sa croix, un Christ enseveli. Dans ces compositions, pleines de beautés, on sent encore que l’artiste est sur un terrain qu’il ignore. Ses qualités personnelles commencent à s’y faire jour, elles n’y sont pas acclimatées. Il n’a pas trouvé ce qu’il cherche. Il y a de la tendresse dans cet ange, un sentiment noble et profond dans ces têtes du Sauveur, rien encore de divin. Le véritable terme de son apprentissage, si nous pouvons parler ainsi, la prise de possession d’un idéal religieux qui lui soit propre, qui n’ait rien de banal, rien d’incertain, qui sorte des entrailles mêmes de son talent, c’est la Sainte Monique et le Saint Augustin. Dix ans s’étaient passés depuis le Christ consolateur. C’est au salon de 1846, dernier salon où Scheffer ait exposé, que parut la Sainte Monique.

Que dire de ce tableau, sinon redire son immense succès ? Nous savons bien ce qu’en murmurent et les gens de système et les gens de métier : ce n’est pas là de la peinture, c’est une apparition de corps transfigurés. Quelle raideur dans ces corps ! quelle maigreur anguleuse ! quel mépris de la chair ! quelle glorification des os ! Acceptons tout cela, avouons même, si l’on veut, que l’exécution de ce groupe, le genre admis, laisse à désirer quelque chose, que l’auteur tout à l’heure nous donnera lui-même et la mesure et l’exemple de ce qu’on souhaiterait ici, qu’il s’est par trop abandonné à la pente de sa nature ; mais, tout cela concédé, vous trouverez encore plus qu’il n’en faut pour justifier, pour perpétuer le succès. Révisez le public une fois, deux fois, nous l’admettons : il a ses engouemens passagers, il est faillible, très faillible ; mais quand il persévère, quand ses prédilections subsistent à travers deux générations, malgré le temps qui court, malgré la mode qui varie, quand il s’obstine à se laisser charmer, c’est qu’il y a chez celui qui le charme un pouvoir solide et réel. Le public ainsi mis à l’épreuve est le critique par excellence. Scheffer l’a toujours trouvé fidèle à chaque degré nouveau qu’a franchi son talent : élégie, roman, dramatiques ballades, grandes et poétiques fictions ; maintenant ce public est convié à des sermons, tout au moins à des homélies,