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tomber ici sur une gloire éteinte avant de naître comme un rayon de sa renommée.

Quittons cet atelier, car après la musique d’autres attraits viendraient encore nous retenir. Nous parlions tout à l’heure des portraits dont ces murailles sont couvertes, on s’oublierait à les regarder tous. Ce n’est pas seulement un curieux assemblage des personnages les plus divers, connus en général et la plupart célèbres, c’est aussi un sujet d’étude. Certain côté du talent de l’artiste se montre ici à découvert : on saisit comme sur le fait son procédé d’imitation. Ces portraits en effet sont tous très ressemblans, mais ce n’est pas la ressemblance qui s’obtient par l’exacte copie, par la reproduction littérale des apparences extérieures ; cette ressemblance matérielle n’est ici qu’incomplète, la plupart des figures ne sont peintes qu’à moitié, les accessoires n’existent pas, il faut deviner beaucoup. Qu’importe ? Ce qui existe est vivant et semble vouloir parler. Le trait immatériel qui constitue l’individualité de chacune de ces têtes, le trait dominant, essentiel, est admirablement saisi et exprimé. C’est le secret du peintre ici comme dans ses tableaux ; seulement ici on en juge encore mieux. On voit qu’il ne s’amuse pas, par un soi-disant respect de la nature, à reproduire dévotement des vérités accidentelles, à vous peindre enrhumé, si par hasard vous l’êtes, à copier l’ennui qu’il vous cause en vous faisant poser : il ose interpréter, résumer, élaguer, au grand profit de l’art, sans détriment pour la nature. Scheffer n’avait besoin, pour exceller dans le portrait, que de s’armer plus souvent de patience. Chaque fois qu’une forte cause a subjugué sa volonté, et qu’au lieu de s’en tenir à de simples indications, il a tenté une imitation complète et sans lacune, il a merveilleusement réussi. Le portrait de sa mère, qui dans cet atelier domine tous les autres, en est l’évidente preuve. Il a voulu faire un chef-d’œuvre, et il l’a fait. Ce portrait, selon nous, est ce que Scheffer a produit de plus excellent dans l’art de peindre proprement dit. Ce n’est pas l’éclat surnaturel qui jaillit du Christ au roseau, mais une vérité lumineuse, une limpidité transparente et solide. Comme habileté de touche et maniement de pinceau, les plus grands maîtres n’ont pas fait mieux. Ce portrait, exposé en public, placerait immédiatement l’auteur, dans l’opinion générale, et même avec l’aveu des hommes de métier au rang qui lui appartient comme peintre, et que, faute de le bien connaître, on peut encore lui contester.

Ce que l’amour filial avait produit, un autre sentiment non moins puissant sur Scheffer l’obtint de lui à Claremont l’an passé. Le portrait de la reine est aussi dans son genre une œuvre achevée, qui exprime admirablement l’énergie et la résignation d’un noble cœur,