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seront, sans que nous ayons à les attiser, nos meilleurs auxiliaires. Les Maures eux-mêmes, quoique avec eux la paix soit difficile à maintenir, subiront l’ascendant de notre force. Tant qu’ils craindront d’être privés de toute communication avec la rive gauche, de manquer du i mil qui leur sert de nourriture, ils solliciteront notre protection pour la continuation de leurs échanges, et subiront notre loi, dont ils ont déjà souscrit les conditions. Tôt ou tard ils s’offriront eux-mêmes aux arbitres de leur sort.

Il suffit pour le moment de bien surveiller le cours du fleuve depuis Saint-Louis jusqu’à Richard-Toll, sur une étendue de trente lieues à peine. Le problème de la défense du Oualo ainsi posé comme le premier et le principal succès à obtenir, la science militaire saura certainement le résoudre. Peut-être, au lieu de tours surveillant des gués fort nombreux, suffira-t-il d’une croisière le long du fleuve ou d’une ligne télégraphique, aérienne ou électrique, qui signale au siège du gouvernement rapproche des hordes pillardes, toujours lente et embarrassée de convois. Au premier éveil, les cavaliers de Saint-Louis monteraient en selle et disperseraient l’ennemi. Quand les Maures auront acquis la conviction que le fleuve leur est barré, ils s’y résigneront. Dut-on établir, soit dans le Oualo, soit chez les Trarzas, même aux bords du lac de Cayar, un camp fortifié, qui serait, sauf l’échelle de proportion, le Fort-Napoléon de ces Kabylies, cela vaudrait mieux encore que d’incessantes razzias des Maures sur les,noirs et des Français sur les Maures.

À l’égard du prophète El-Hadj-Omar, qui dans le courant de l’année nouvelle a quitté sa retraite du Fouta-Dialon, et a reparu dans le Bambouk, le Bondou et le Fouta pour les agiter, la France se doit à elle-même de maintenir à tout prix contre lui ses possessions et ses alliances, ses droits et ses devoirs, mais sans confondre avec les brigandages des Maures l’agitation religieuse et politique de ce missionnaire du Koran. Il y a en lui une sève et une valeur morales dont il faut tenir compte.

Dans (divers ouvrages récens sur le Sénégal, dans celui de MM. Carrère et Holle particulièrement, l’islamisme est jugé avec une extrême sévérité ; quelquefois il est même qualifié d’idolâtrie, contrairement à toute vérité. La suppression de ce culte est proposée comme un but légitime à la politique française, tant la tolérance dont il est l’objet paraît un obstacle invincible aux progrès du catholicisme. Ces sentimens, bien qu’ils soient aujourd’hui assez communs et que l’insurrection de l’Inde et le carnage de Djeddah leur aient rendu une vivacité qui semblait attiédie, n’en sont pas moins des préjugés contre lesquels la justice doit réclamer. Quand on a vu de près, et chacun peut l’observer en Algérie, quels ressorts cette religion donne aux âmes, même pour le bien, si on sait le