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Ce fut le dimanche 7 octobre 1571, dans cet ancien golfe de Corinthe qui se prolonge entre la côte de l’Albanie et la presqu’île de Morée, près du détroit où s’était livrée la bataille d’Actium, que le génie romain gagnait, au profit d’un maître, contre l’amas confus et les pavillons barbares de l’Orient.

La flotte ottomane, forte de plus de deux cents galères poussées par les rames d’esclaves chrétiens, et traînant à sa suite une foule de navires, s’était embossée au rivage. La flotte chrétienne longea du nord au sud la côte d’Albanie, marchant à l’ennemi, précédée de six galéasses vénitiennes, ou grands vaisseaux, dont le haut bord et les feux étaient irrésistibles.

Là commandait don Juan, élevé par son courage au-dessus des conseils timides de quelques généraux de Philippe II. Sa principale force en navires et en soldats était italienne, ou plutôt italienne et grecque ; car c’est un fait aujourd’hui vérifié, qu’à part les douze galères du pape, les galères de Savoie, de Gênes et de quelques villes, ou même de quelques généreux citoyens d’Italie, les Vénitiens avaient seuls cent quatre galères, et sur cette escadre un grand nombre de Grecs, soit réfugiés de la Morée, soit recrutés de Candie, de Corfou et des autres îles soumises encore au pouvoir de Venise. Selon la dureté jalouse de la politique vénitienne, aucun de ces sujets de la république n’avait de commandement maritime, ni de grade militaire ; mais ils combattirent vaillamment sous ce drapeau que teignaient aussi de leur sang quinze capitaines des Vénitiens et leur premier amiral.

Don Juan d’Autriche avait disposé lui-même l’ordre du combat et parcouru l’avant-garde et les côtés de la flotte, debout sur un esquif, un crucifix à la main, exhortant du geste et de la voix tous les confédérés, dont il avait mêlé les pavillons pour ne faire qu’un seul peuple. Puis, remonté à son bord, où l’entourait une élite de jeunes nobles castillans et de soldats sardes, après que les grands navires vénitiens eurent porté les premiers coups et fait une large trouée, il s’était acharné lui-même à l’attaque du vaisseau amiral turc, et par cette prise et la mort de l’amiral avait puissamment hâté la victoire.

Comme il était arrivé jadis aux Romains dans leurs premières batailles de mer contre Carthage, les galères des deux partis se heurtant et s’accrochant avec des crampons de fer, le combat était devenu souvent un duel de pied ferme et corps à corps, où les vieilles bandes d’Espagne, les Italiens et les Grecs vainquirent après cinq heures de lutte.

Le désastre des Ottomans fut immense. L’enceinte resserrée du détroit semblait toute couverte de débris fumans et de cadavres.