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« Il a levé la tête ce puissant qui te porte une si grande haine ; il a tenu conseil pour notre ruine, et contre nous ont médité ceux qui se trouvaient là : « Venez, ont-ils dit, et, sur la mer houleuse, faisons un grand lac de leur sang ; détruisons tous ceux de cette race, et, partageant leurs dépouilles, rassassions nos yeux de leur mort. »

« De l’Asie et de la merveilleuse Égypte sont venus des Arabes, des Africains légers, et ceux que la Grèce leur a mal associés : guerriers à la fière encolure, d’une grande force et en nombre infini. Ils ont osé promettre d’incendier de leurs mains nos frontières, de mettre à mort par l’épée notre jeunesse, de prendre nos jeunes enfans et nos vierges, et de souiller la gloire, la pureté de celles-ci.

« Ils ont occupé les golfes de la mer, la terre demeurant muette et dans l’effroi, et nos braves sont restés silencieux et hésitans jusqu’à ce que, le Seigneur, opposant à la furie des Sarrasins un ennemi nouveau, devant eux se soit levé le noble jeune homme d’Autriche, avec l’illustre et belliqueux Espagnol, car Dieu ne souffre pas que dans Babylone vive toujours asservie sa cité chérie de Sion. »


Le noble jeune homme d’Autriche, voilà, ce semble, un digne langage pour le modeste vainqueur de Lépante. Peut-être ici le goût du poète est heureusement aidé par la crainte de blesser un despotisme jaloux ; nulle vaine pompe n’a surchargé l’éloge du héros. Selon le génie des prophètes hébreux, Dieu seul a tout fait, Dieu seul a paru.

« Les grands se sont troublés, les forts, les puissans se sont rendus avec effroi, et toi, ô Dieu, de même que la roue du vanneur et la barbe de l’épi arrêtent le souffle impétueux du vent, tu as livré ces méchans qui, fugitifs par milliers, ont pâli devant un seul homme. Tel qu’un feu embrasé les forêts et sur leurs épaisses cimes a répandu sa flamme, tel, dans ta colère et tes foudres, tu les as suivis et tu as couvert leur face de honte. »

Cet aspect du Dieu des armées, ces cèdres superbes abaissés sous sa main, ces images empruntées aux prophètes, se prolongent dans les vers du poète avec plus d’éclat que de nouveauté. Notre esprit s’arrête surtout à quelques mots sur la Grèce, indiquant trop combien le malheur devient aisément coupable aux yeux de ceux qui le délaissent. Le poète n’a pas nommé, n’a pas reconnu des Grecs dans les rangs dés vainqueurs chrétiens, et il accuse leur présence dans les rangs ennemis et sur les bancs de ces galères qu’il appelle « les vaisseaux de Tyr. »


« Babylone, dit-il, et l’Égypte épouvantées craindront le feu et la lance guerrière, la terre s’abaissera sous la lumière des cieux, et désespérés, le front obscurci dans l’effroi de leur solitude, tes ennemis, ô Seigneur, pleureront leur défaite. Mais toi, ô Grèce, complaisante à l’espoir de l’Égypte et orgueil de sa confiance, quelle tristesse que tu lui obéisses, sans crainte de Dieu, et ne sachant pas voir où est la délivrance !