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turc. Cette fois c’étaient les vaisseaux anglais, réunis aux vaisseaux russes, qui détruisaient la flotte ottomane dans la rade de Tchesmé le 6 juillet 1770.

Je ne sais si l’amiral anglais s’en repentait ensuite ; mais le coup était terrible et semblait commencer déjà ce que voit notre siècle, la renaissance d’un état grec et l’affranchissement de l’Europe orientale. Ce n’était plus pour les puissances chrétiennes une question de défense personnelle ni de zèle religieux ; mais c’était, dans l’esprit généreux d’alors, une question de justice et de civilisation, dont l’ambition pouvait abuser sans doute, mais qui se recommandait par les plus nobles motifs. Cette disposition, que la philanthropie de Joseph II et le génie conquérant de Catherine avaient hâte d’exploiter, alla croissant dans les dernières années de la monarchie française au XVIIIe siècle. La guerre seule des États-Unis d’Amérique y faisait diversion ; mais le principe de civilisation et de justice sociale qui émancipait les colonies anglaises parlait plus haut encore en faveur de ces belles contrées de l’Europe orientale et de l’Asie-Mineure, si stérilement possédées par d’ignorans et cruels oppresseurs.

Dans ce mouvement des opinions en Europe, si indifférent à la conservation de l’empire turc, ou plutôt si favorable à sa chute, ce fut l’explosion même du principe de liberté, ce fut la révolution seule qui, par un contre-coup indirect, mais irrésistible, sauva la Turquie d’un imminent péril. En 1787 en effet, la Russie, dirigée par le génie de Catherine, déjà maîtresse de la Crimée et bien résolue de ne pas la rendre, maîtresse de la Mer-Noire et menaçant Constantinople, préparait une invasion dont le chemin semblait tracé et le résultat inévitable. Ce résultat, ce n’était pas un zèle posthume de croisade qui le souhaitait et le prédisait ; ce n’était pas non plus la complaisance intéressée de quelques publicistes aux gages d’une grande puissance : c’était l’esprit à la fois ferme et pratique d’un des plus habiles voyageurs en Orient, du philosophe Volney. Rien de plus remarquable que son livre intitulé Considérations sur la guerre des Turcs en 1788, ce livre que Napoléon rappelait un jour à Volney, qu’il faisait sénateur, en lui disant : « Je vous dois d’avoir eu l’idée d’aller en Égypte. »

Nulle part, en effet, on ne saurait mieux analyser les vices irrémédiables d’un empire asiatique importé en Europe, n’y dominant plus par le premier élan d’un fanatisme sauvage, et y dépérissant par l’incurie et la mollesse. Ce n’était pas que dès lors les Turcs n’essayassent de s’éclairer. Volney indique à cet égard ce qui se faisait et s’est renouvelé tant de fois depuis, l’appel d’ingénieurs et d’officiers étrangers, les réformes économiques, les perfectionnemens