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de notre chef, je n’eus du moins qu’à me louer de ses procédés, et, — ample compensation à mes regrets ainsi qu’à mes ennuis, — je trouvai dans le commandant de la Dédaigneuse un compagnon loyal, entreprenant, plein d’honneur et de bravoure, un bon et franc camarade, aussi sûr pour la navigation que pour le combat. Le plan de notre expédition était si bien conçu que, malgré l’extrême lenteur avec laquelle nous descendîmes la côte d’Afrique, mouillant tous les soirs pour n’appareiller que vers neuf ou dix heures du matin, séjournant des semaines entières où nous n’avions que faire, nous laissant rebuter par des obstacles que la moindre énergie eût surmontés, malgré l’incroyable gaucherie de quelques-unes de nos manœuvres, en moins d’un an nous avions capturé trente navires, dix-sept anglais, sept américains et six portugais, la plupart montés par des équipages de quarante ou cinquante hommes. Pourvus d’une nombreuse artillerie, comme l’étaient à cette époque la plupart des négriers, ces bâtimens portaient à eux tous deux cent-soixante-dix bouches à feu : quatorze canons de 12, cent de 9, soixante-dix-huit de 6, soixante-seize de 4, et seize caronades de 18 ou de 36. Quelques-uns, avertis de notre présence sur la côte, avaient réussi à se réfugier dans des rivières ou sur des hauts-fonds. Nos frégates ne purent les y suivre. Il fallut les faire enlever à l’abordage par nos embarcations. Il y eut là plus d’une action très chaude dans lesquelles nos jeunes officiers montrèrent un élan incroyable. La plus meurtrière de ces affaires nous coûta vingt blessés. En somme, sans avoir encore soutenu aucun combat sérieux, nos équipages, par leur longue navigation et leurs engagemens continuels, s’étaient aguerris, et j’hésiterais à croire qu’il y eût alors beaucoup de frégates anglaises qui valussent les nôtres.

En quittant la côte d’Afrique, nous nous dirigeâmes sur l’île du Prince, qu’un coup de main fit tomber en notre pouvoir. Nous occupâmes les forts et fîmes dans cette île un séjour d’environ un mois. En partant, nous exigeâmes de la colonie une rançon de 500 onces d’or qui fut malheureusement déposée, avec le produit de nos autres prises, dans la caisse que le commandant de la Sémillante, en sa qualité de chef de l’expédition, s’obstinait à conserver à son bord. Ce fut à l’île du Prince, dans la baie de Santo-Antonio, que nous fêtâmes l’avènement d’un nouveau siècle. Trois mois plus tard, nous donnions dans la Plata et venions jeter l’ancre sur la rade de Montevideo.

Notre arrivée dans ces parages fit sensation. On ne pouvait se persuader que nos frégates fussent véritablement françaises. Nous étions au mouillage depuis quarante-huit heures, que pas une embarcation du pays n’avait encore osé s’approcher. Le gouverneur,