Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/684

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

signalé, n’ayant d’autres voiles que les huniers, quand le commandant de la Séduisante, reconnaissant, mais trop tard, l’inutilité de sa science et la faute qu’il avait commise, signala qu’il laissait chaque capitaine libre de sa manœuvre pour la sûreté de son bâtiment ; en bon français, c’était faire le signal de sauve qui peut. Il ne me sembla pas que le moment fût venu de profiter de cette permission. La Séduisante allait être bientôt aux prises avec l’ennemi, et je ne doutais pas que son commandant ne nous appelât alors au feu. Il était à peu près cinq heures du soir : les bâtimens qui nous poursuivaient ne marchaient pas également bien ; quelques-uns étaient presque hors de vue. Nous avions donc une chance inespérée de combattre avec avantage ceux qui s’étaient le plus approchés de nous. Je considérais comme le seul vaisseau de guerre de l’escadre, an glaise le navire ennemi qui s’avançait, suivi d’assez près par quatre des six autres bâtimens. Au moment où il ouvrit le feu de ses pièces de chasse sur la Séduisante, je me disposais à virer de bord pour venir en aide à notre conserve. Le commandant ne m’en laissa ni la liberté ni le temps. Par un mouvement de générosité dont il m’est encore aujourd’hui impossible de lui savoir gré, il me fit le signal de forcer de voiles, vint en travers, lâcha une bordée au vaisseau ennemi et amena son pavillon. Je ne saurais exprimer la pénible impression, l’étonnement douloureux que j’éprouvai, lorsque je vis cette belle frégate se rendre ainsi sans combattre. Je savais que l’état-major de la Séduisante comptait plusieurs officiers d’une bravoure éprouvée, que le commandant lui-même, sans avoir les qualités que peut seule donner une éducation militaire, était un homme d’honneur, incapable de souiller son nom d’une faiblesse. Je m’étais donc trompé sur la force de l’ennemi. Plus de doute ; c’était bien à une escadre de bâtimens de guerre que nous avions affaire. Résister à une escadre étant impossible, les officiers de la Séduisante avaient sagement fait d’éviter une effusion de sang inutile.

La Dédaigneuse, au signal de liberté de manœuvre, avait laissé arriver vent arrière. Deux vaisseaux qui avaient sur elle un avantage de marche bien prononcé s’étaient mis à sa poursuite. Elle s’allégea d’un poids considérable en jetant à la mer une partie de son artillerie. Son sillage s’en accrut à peine. À sept heures du soir, nous entendîmes une très vive canonnade du côté où nous l’avions perdue de vue. À sept heures et demie, tout était rentré dans le silence : la Dédaigneuse avait succombé.

Plusieurs des bâtimens anglais continuaient à me poursuivre. Un seul avait pu m’approcher à portée de canon, et encore était-ce l’effet d’une brise fraîchissant graduellement dont il éprouvait toujours l’influence avant nous. Je n’avais pas changé de route ; je