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de chasse. Ses boulets, sans m’atteindre, me dépassaient cependant de beaucoup, car, je l’avoue, je n’exécutais qu’à regret l’ordre auquel je n’osais complètement désobéir. J’avais cargué mes perroquets et mes basses voiles, et je venais tantôt d’un bord, tantôt de l’autre, lâchant chaque fois ma bordée tout entière à la frégate anglaise. J’étais désolé de voir trois frégates françaises paraître fuir devant une seule frégate ennemie. Subir un tel affront sur nos côtes et jusque dans nos rades, c’était une ignominie à laquelle, pour ma part, je ne voulais plus être exposé. À mon arrivée devant l’amiral, bien qu’il me fût fait une réception plus gracieuse qu’à l’ordinaire, je ne crus pas pouvoir me dispenser de représenter l’impression fâcheuse que devait produire sur nos équipages une semblable retraite et la confiance illimitée qu’elle était faite pour inspirer à l’ennemi. L’amiral me comprit très bien. Je ne doute pas qu’il ne lui fût prescrit d’éviter toute espèce d’engagement avec l’escadre anglaise. Les paroles inconsidérées qu’il avait proférées à l’égard du capitaine R… lui firent craindre sans doute de ne plus trouver chez ses officiers une docilité qu’il avait lui-même si imprudemment flétrie ; il pourrait se trouver alors dans la nécessité de venir avec toute son escadre au secours des frégates qui seraient compromises. Ce fut là, je crois, un des motifs qui firent définitivement suspendre les appareillages des frégates.

Pour ne point paraître complètement inactif, en cessant de travailler à l’instruction des matelots, on voulut s’occuper de celle des capitaines et des états-majors. Un ordre du jour prescrivit de disposer les grands canots pour l’étude des évolutions navales. Jamais, il faut en convenir, leçons ne furent plus nécessaires. Les premiers essais ne furent que confusion. On s’en prit à l’inégalité de marche des canots. En réalité, ce désordre n’avait d’autre cause que l’ignorance complète des règles de la tactique. Les prétentions néanmoins ne manquaient pas. On avait toujours de bonnes raisons à donner pour justifier ses fautes. Des débats irritans s’engagèrent, et l’amiral prescrivit de suspendre les exercices de tactique, comme il avait déjà renoncé à faire appareiller les frégates.

L’amiral Decrès était fort aimable quand il le voulait. La vivacité de son esprit séduisait aisément ceux auxquels il avait l’intention de plaire. Plusieurs aides-de-camp du premier consul avaient eu l’occasion de le voir à bord de son vaisseau. À leur retour à Paris, ils exprimèrent la haute opinion qu’ils avaient de son mérite. Déjà un traité qu’il avait été chargé de conclure avec des envoyés du roi de Portugal, pendant qu’il était préfet maritime à Lorient, avait attiré l’attention sur lui. Le 1er octobre 1801, il se vit appelé au ministère de la marine. Il reçut les complimens des capitaines, accompagnés