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contrôlez ces expériences dont on est si fier, ces découvertes qu’on dit si menaçantes, arrachez enfin l’étude de l’homme à ceux qui la dégradent et reprenez possession de vos domaines. C’est ce que M. Hermann Fichte a tenté hardiment dans son Anthropologie[1].

Le début de ce livre est touchant. M. Hermann Fichte a un fils docteur en médecine, et il redoute pour lui l’esprit funeste qui a soufflé sur la science allemande. C’est au jeune docteur qu’il pensait en écrivant ces pages, c’est à lui qu’il les dédie :


« Aristote a dédié un traité de morale à son fils Nicomaque ; Cicéron adresse à son fils Marcus ses trois livres des Devoirs, comme le présent le plus précieux qu’il puisse lui faire : c’est dans le même esprit que je t’offre cet ouvrage, ô mon cher fils ! Tu es médecin et naturaliste ; ton éducation scientifique t’a accoutumé à chercher partout une idée claire des choses, et à ne te soumettre qu’à l’évidence dans les plus importantes questions de la science et de la vie. Or une doctrine pernicieuse s’est répandue dans le monde. Il existe, dit-on, une hostilité irréconciliable entre la foi et la science. La science finit toujours par détruire la foi, et il n’est pas d’autre moyen de sauver la foi que de la préserver avec soin de la lumière du savoir. Ah ! si l’homme en était réduit là, si le dernier résultat de ses efforts vers la vérité était cet antagonisme indestructible, sa destinée serait profondément malheureuse. Je sais bien que le sensualisme, dans ces derniers temps, a prétendu mettre fin à ce conflit en s’écriant avec une incroyable audace : « Moi seul, je suis la vérité. Il n’y a d’autre science que la science des choses visibles, il n’y a pas d’autre foi que la foi au témoignage des sens. » Le châtiment qu’il méritait ne s’est pas fait attendre ; nous avons dû lui prouver son impuissance scientifique jusque sur son propre domaine. Certes tu ne t’es jamais laissé prendre aux erreurs des sensualistes, ton éducation philosophique t’en préservait ; mais tu dois désirer (et tous tes compagnons d’étude qui pensent comme toi partagent sans doute ce vœu), tu dois désirer une complète exposition des principes au nom desquels le spiritualisme prétend posséder aussi la solution des problèmes confus de la physiologie. J’ai écrit ce livre avec l’espérance de t’être utile, à toi et à tes jeunes émules, à tous ceux qui se trouvent engagés dans les mêmes conflits intellectuels et qui ont conservé l’impartialité de leur jugement. J’ai voulu vous exciter tous à combattre avec nous dans ce grand combat de la vraie science contre la science menteuse, car nous sentons bien nous tous que le souverain bien ici-bas est cette harmonie de l’esprit au sein de laquelle les grandes espérances de l’homme, justifiées par la pensée libre, resplendissent toujours plus certaines, et animent la volonté d’un enthousiasme toujours nouveau, d’une énergie morale toujours plus haute ! »


Ce n’est pas là une mise en scène ménagée avec art, tout cela est simple et vrai, et cependant il est impossible de ne pas voir dans

  1. Anthropologie. Die Lehre von der menschlichen Seele, neubegründet auf naturwissenschaftlichem Wege, etc., von Immanuel Hermann Fichte ; 1 vol., Leipzig 1856.