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cette page un dramatique tableau des troubles philosophiques de l’Allemagne : ici, les théologiens, esclaves de la lettre et qui maudissent la science ; là, les matérialistes triomphans ; puis, entre les partis extrêmes, ce représentant de l’école spiritualiste essayant de la réorganiser sur une base scientifique, plein d’une sollicitude craintive, inquiet comme un prêtre et comme un père, adressant à son fils et aux générations nouvelles le livre qu’il a écrit pour les éclairer !

Cette belle inspiration a profité au philosophe. L’Anthropologie de M. Fichte est un livre plein de science, et la science y est vivifiée par le cœur. L’auteur connaît toutes les découvertes récentes de la physiologie et de la chimie ; il les commente, il en dévoile le sens véritable, et chacune de ces expériences dont le matérialisme était si fier devient entre ses mains la démonstration d’un principe spirituel. Ce principe est partout dans le livre de M. Fichte comme il est partout dans l’organisation de l’homme. M. Fichte n’accepte même pas l’ancien spiritualisme, celui qui, pour mieux distinguer l’esprit du corps, enlevait à l’âme le gouvernement de la matière. Lorsque Descartes établit cette séparation absolue entre le corps et l’âme, ce fut sans doute une inspiration de génie ; mais était-ce là le dernier mot de la science ? En évitant la confusion de la matière et de l’esprit, il s’était exposé à un autre péril, et les naturalistes en effet surent bientôt mettre à profit le dualisme cartésien. Qu’était-ce que cette intervention de Dieu dans les relations du. corps et de l’âme ? Quel physiologiste pouvait admettre la théorie des causes occasionnelles ? C’était donc au corps lui-même qu’il fallait demander le principe qui l’anime. Descartes avait expliqué la vie par les seules forces de la mécanique et de la chimie ; les naturalistes admirent l’explication et n’en demandèrent pas d’autre, je veux dire qu’avec tous les phénomènes de la vie corporelle ils y firent rentrer tous ceux de la vie intellectuelle et morale. Telle a été, à diverses époques, la marche des idées en Europe ; telle on l’a vue se reproduire dans ces derniers temps au sein de la philosophie germanique. M. Fichte se sépare tout à fait sur ce point du spiritualisme cartésien ; d’après l’état actuel de la physiologie et des sciences qui s’y rapportent, il se croit autorisé à dire que l’esprit agit directement sur le corps, qu’il le règle, le gouverne, qu’il est la seule explication et l’explication nécessaire de tous les faits révélés par la médecine ou la chimie : sa doctrine, c’est le spiritualisme concret opposé à ce qu’il appelle le spiritualisme des abstractions.

Toute cette partie du livre me paraît digne de l’attention la plus sérieuse ; ceux même qui n’adopteront pas dans tous ses détails la théorie de l’auteur y admireront des idées lumineuses, une discussion pressante, une connaissance supérieure des sciences qu’on nomme exactes. Une fois la route si vaillamment ouverte, M. Fichte