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ne s’arrête pas sur le seuil ; intelligence curieuse et pénétrante, on dirait que les difficultés l’attirent. Non-seulement, selon lui, l’esprit gouverne le corps ; bien plus, il le crée et le façonne. Cette doctrine de l’âme, cause de la vie et de la pensée, principe de toute l’organisation humaine, c’est la doctrine de Platon, d’Aristote, de saint Thomas, de Leibnitz ; c’est en un mot la grande tradition des maîtres, interrompue seulement par le mécanisme de Descartes. M. Fichte n’invoque pas ces autorités : il ne veut d’autre appui que la science, la physiologie, la médecine, et c’est vraiment un spectacle intéressant que la défense de ces antiques doctrines démontrées ici par des argumens si nouveaux. Je regrette seulement que M. Fichte, en repoussant le mécanisme de Descartes et tous les médiateurs imaginés entre le corps et l’âme, n’ait pas tenu compte d’une école médicale qui combat aussi l’erreur cartésienne sans oser faire de l’âme le principe de la vie. Préoccupé du matérialisme et du spiritualisme abstrait, il oublie un groupe d’hommes qui, comme lui, ne veulent ni de l’un ni de l’autre. Je parle de l’école de Montpellier. On n’ignore pas que cette question mystérieuse, les rapports de l’âme et du corps, est pour les disciples de Barthez le problème fondamental de la médecine, et qu’ils prétendent en posséder la solution. Il y a, selon eux, une force qui préside à toutes les fonctions des organes, et de laquelle dépendent tous les mouvemens de l’instinct. Cette force est la même chez l’homme et chez l’animal ; tout ce qui est commun entre eux vient de là. L’âme qui veut et qui pense est tout à fait distincte de ce principe et n’appartient qu’à l’homme. Ainsi se trouve résolue, disent-ils, la question de l’intelligence des bêtes : la bête n’a que le principe vital, l’homme a reçu de plus le principe d’une vie supérieure, l’âme, à qui seule appartiennent ici-bas l’intelligence et la volonté. En un mot, selon la définition de M. de Bonald, l’homme est une intelligence servie par des organes ; or, pour que ces organes puissent servir l’intelligence, il faut qu’ils vivent, et ils vivent en effet d’une vie qui leur est propre, d’une vie qui n’est ni le résultat de l’organisation, comme disent les matérialistes, ni le produit de l’âme, comme l’affirment Aristote, saint Thomas d’Aquin, Leibnitz, et la plupart des spiritualistes modernes. Si l’on n’admet pas (ce sont les termes de l’école) la dualité du dynamisme humain, la philosophie et la médecine sont également condamnées à l’erreur. Telle est, sans entrer dans le détail des preuves et des conséquences, la doctrine anthropologique de Montpellier ; on ne peut y méconnaître l’élévation des vues et un ingénieux esprit de combinaisons. M. Hermann Fichte la mentionne avec dédain dans une phrase incidente et ne la juge même pas digne d’une réfutation. Il est vrai qu’il ne cite pas l’école de Montpellier ; il paraît ignorer les travaux de Barthez