Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous ses souvenirs. Je voudrais soulever les voiles de la poésie sans en profaner le doux mystère ; je voudrais suivre, de l’enfance à la virilité, la destinée du poète et l’histoire de son âme.

Julien-Auguste-Pélage Brizeux est né à Lorient le 10 septembre 1803. Sa famille était originaire de l’Irlande, de cette verte Érin, qu’il aimait comme une seconde patrie, et qu’il a tant de fois dans ses chants associée à la Bretagne ;


Car les vierges d’Érin et les vierges d’Arvor
Sont des fruits détachés du même rameau d’or.


Les Brizeux (Brizeuk, breton, de Breiz, Bretagne) seraient venus en France après la révolution de 1688, lorsque Guillaume d’Orange eut détrôné Jacques II. Ils s’établirent aux bords de l’Ellé, à l’extrémité de la Cornouaille, aux confins du pays de Vannes. L’aïeul du poète, notaire et contrôleur des actes, avait une nombreuse famille et une fortune médiocre ; après lui, le raapoir paternel fut vendu, et les enfans se dispersèrent. L’un d’eux, c’est le père de celui qui a écrit Marie, Pélage-Julien Brizeux, servit avec honneur dans la chirurgie de marine pendant les guerres de la révolution. La mer, la Bretagne, les souvenirs lointains de l’Irlande, ce furent là pour l’enfant les premières sources d’impressions, de ces impressions qu’une âme naïve recueille sans les comprendre, qui s’y endorment et paraissent s’y éteindre, puis un jour, longtemps après, se réveillent tout à coup, pleines de fraîcheur et d’énergie. Il était encore bien jeune quand il eut le malheur de perdre son père. Il lui restait une mère dont l’influence fut singulièrement vive sur son éducation morale. On a remarqué chez plus d’un grand poète moderne l’action de l’âme maternelle. Il y a là-dessus des pages bien senties de M. Sainte-Beuve. Virgile a eu raison de le dire : Cui non risere parentes… Celui à qui sa mère n’a pas souri, ni les dieux ni les déesses ne l’aimeront. La poésie est une de ces déesses qui ne protègent pas l’homme à qui a manqué le sourire de sa mère. Les génies les plus différens ont dû maintes richesses cachées à ces mystérieuses communications des âmes, Victor Hugo comme Lamartine, et Goethe aussi bien que Novalis. « C’est ma mère, dit Goethe, qui m’a donné, avec sa gaieté vive et franche, le goût d’écrire, le goût et la joie de l’invention poétique. » Brizeux dut à la sienne la simplicité du cœur et une sensibilité exquise. On se rappelle les pièces touchantes où il a exprimé ce que nous indiquons ici. Quand il compose son poème de Marie, avec quelle grâce, avec quelle piété joyeuse il associe sa mère à l’œuvre qui s’élève sous ses mains :


Si ton doigt y souligne un mot frais, un mot tendre,
De ta bouche riante, enfant, j’ai dû l’entendre.