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Comment se tirer de là ? Bien des soucis, on peut le croire, torturaient le cœur du squire. La célébration de la vingt et unième année de Frank n’était pas ce qu’elle aurait dû être, en dépit des feux de joie et des tables dressées pour les fermiers assemblés. La joie manquait à cette fête de famille, et la parcimonie se trahissait dans cette abondance. Les fermiers comprenaient à la manière dont ils étaient traités que les choses étaient bien changées à Greshambury, et qu’elles n’allaient pas comme autrefois, du vivant du vieux squire. Le héros de la fête, Frank lui-même, aurait pu s’apercevoir de cette gêne présente, s’il eût eu du temps pour la réflexion au milieu de toutes les bienvenues et de tous les complimens dont il était accablé ce jour-là, car le matin même son père lui avait donné, selon l’usage, son cadeau de majorité,… un simple cheval, au lieu d’un attelage complet. Son cousin, l’honorable John, un membre vaniteux de la vaniteuse famille de Courcy, l’avait presque fait rougir de la modicité de ce cadeau. « Comment vous, vous montrer dans le comté avec un attelage composé d’un poney et d’un cheval non dressé, vous l’héritier de Greshambury ! » L’honorable John en parlait bien à son aise. Hélas ! la vanité de tous les Courcy mis ensemble, que pouvait-elle pour effacer une hypothèque de cent mille livres sterling ? La vanité cependant a ses ressources, car elle s’allie très naturellement à la bassesse, et la bassesse ne faisait pas défaut aux de Courcy. Le chef femelle de la maison, lady de Courcy, ouvrit un conseil de famille. Dans les conditions présentes, il ne restait plus qu’un seul moyen de sauver Greshambury. Frank devait faire un mariage d’argent ; tous les efforts de la famille devaient tendre à conclure le plus promptement possible une affaire de ce genre. Il importait peu que Frank continuât ses études à Cambridge et prît ses diplômes : l’important était qu’il fût marié sans retard. La mère ferait bien de surveiller la conduite de son fils et d’éviter toutes les occasions dangereuses où un jeune cœur peut se trouver pris à l’improviste. Il y avait là, dans la salle à côté, une amie, des misses Gresham, une certaine Marie Thorne, nièce du médecin de la famille, qu’on ferait bien d’éloigner. Les caractères politiques découvrent à première vue leurs ennemis : « Si ma fille avait une telle amie, je j’éloignerais au plus vite, » dit lady de Courcy de Marie Thorne. Ce serait en vain, et le conseil vient trop tard.

Lady de Courcy, avec une précipitation fiévreuse, va mettre à l’exécution ce plan, qui serait parfait, s’il n’avait pas le petit défaut de donner un démenti à l’orgueil nobiliaire de la bonne dame. Le lendemain des fêtes de Greshambury, elle enlève de force son neveu, l’emprisonne en voiture, et l’amène au château de Courcy. « Frank, l’honneur des Gresham veut que vous fassiez un mariage