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d’argent. C’est votre devoir de relever votre maison. — Fort bien ! ma tante. — J’ai trouvé un parti fort convenable pour vous. Avez-vous entendu parler de miss Dunstable ? — La fille de l’inventeur de l’onguent du Liban ? — Oui, sa fortune est immense. Elle vient passer quelques jours à Courcy ; je vous présenterai à elle. — Et quel âge a-t-elle ? — Je ne sais pas au juste,… environ trente ans ; mais qu’est-ce que cela signifie que miss Dunstable ait trente ans, ou n’en ait que vingt-huit ? Si vous l’épousez, vous pourrez considérer votre position comme faite pour toute la vie. » C’est fort bien raisonner ; on se demande toutefois comment s’y prend lady de Courcy pour réconcilier sa conduite pratique avec ses théories. Relever la fortune ébranlée de son neveu est une tâche honorable ; mais les moyens qu’elle propose ne seraient pas indignes d’une personne de basse extraction. Si lady de Courcy est juste avec elle-même, elle sera plus indulgente pour ces parvenus dont elle parle avec tant de dédain. On peut, à ce qu’il paraît, dépenser autant de bassesse pour conserver que pour acquérir, pour perpétuer un nom que pour le fonder. Spoliatis arma supersunt : c’est une noble devise aristocratique ; mais ce serait une bien cruelle ironie du hasard, si par hasard cette devise était celle des de Courcy. Dans tous les cas, les conseils de milady, quelque bas et répugnans qu’ils soient, sont assez bien en accord avec la devise qu’on pouvait lire au-dessus de la porte de Greshambury : Gardez Gresham. Est-ce que cette devise ne disait rien au cœur de Frank ? est-ce qu’elle ne lui rappelait pas son devoir, maintenant que Greshambury était en danger ?

Le roman de M. Trollope met donc en présence les deux plus grandes puissances de l’Angleterre : la naissance et l’argent. De ces deux puissances, quelle est la préférable ? Quelques personnes, en haine du dieu Mammon et de ses pompes, préfèrent hardiment la naissance, et peut-être n’ont-elles pas tort, quoique dans bien des cas l’argent ait le droit de réclamer et de dire pour sa défense qu’après tout il est un témoignage palpable et résonnant du courage, de l’énergie et de l’habileté pratique. Mais quoi cependant ? si ces deux puissances étaient également indignes de considération lorsqu’elles ne reconnaissent pas quelque puissance supérieure à elles et qu’elles ne consentent pas à obéir ? Lady de Courcy estime certainement sa naissance bien au-dessus de l’argent qu’elle convoite pour les siens, et pourtant elle ne s’aperçoit pas qu’elle a perdu par ses intrigues le meilleur des privilèges qui s’attachent à la naissance. L’orgueil de l’argent peut bien croître en proportion de cet abaissement de la naissance ; l’argent peut à juste titre se considérer comme le réel supérieur. Et maintenant ne pourrait-il pas se faire que dans bien des cas l’argent l’emportât en dignité, en délicatesse, en véritable