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nom de baptême. On arrange leur nom de famille en diminutif, afin qu’ils ne soient pas confondus avec leur père. Maître Lavène avait été lui-même Lavenou jusqu’à la naissance de son fils, et si Marcel avait eu encore son grand-père, il n’aurait été appelé que Lavénétou. Les jeunes gens, ravis de retrouver leur ancien camarade bon et doux comme autrefois, ressentant aussi un peu de fierté de se voir tutoyés par un monsieur, l’enrôlèrent dans leur bande joyeuse, et le bruyant cortège compta un quêteur de plus. Bientôt les sons mélangés du hautbois champêtre et de la musique recrutée à Montpellier donnèrent le signal de la farandole.

La farandole est pour les villages du midi ce que le canon est pour les villes les jours de réjouissances publiques. C’est l’annonce, l’ouverture, la joyeuse inauguration de la fête. Chacun prend une jeune fille par la main, et une chaîne immense entraîne toute la jeunesse. Les mariés, le fussent-ils depuis un seul jour, sont exclus de ce divertissement populaire. La farandole est souvent gracieuse, calme et élégante. Elle glisse légèrement sur le sol, elle tourne en silence dans les rues et sur les places, et c’est alors la plus jolie danse qu’on puisse imaginer. Dans ce cas, on l’appelle branle. Le cap dé jouvén ouvre la marche, faisant flotter son drapeau, dont les vives couleurs se déploient dans les airs et guident les danseurs. Le hautbois, ainsi qu’il arrive dans les promenades ou dans les danses du midi, se place toujours à la fin de la chaîne. Il joue un air très vif, à deux temps, qui rappelle le galop. Les danseurs exécutent en glissant des passes, des rondes, des festons, des ondulations variées. Ce branle, qui glisse sans cris et sans tumulte, se fait chaque jour pendant la fête, dans le village, au début et au retour du bal. C’est d’ordinaire l’expression d’une joie pure et chaste ; mais il arrive que ce branle si doux et si poétique prend quelquefois un aspect tout différent : il commence piano et finit en un crescendo formidable. La farandole devient alors une espèce de course au clocher, folle, terrible, tournant en mille replis sur elle-même, entrant par toutes les portes, sautant par les fenêtres, gravissant les échelles, se traînant sous les tables, franchissant les barrières, ne connaissant point d’obstacle, portant l’épouvante dans les maisons, allant, courant toujours, jusqu’à ce que le hautbois épuisé fasse entendre son aigre et dernier soupir. Le mérite des danseurs est de ne jamais se lâcher les mains et de suivre aveuglément le chef de la jeunesse. Le cap dé jouvén est élu tous les ans. C’est le roi de la fête. Il dirige et commande ; il a la responsabilité de tous les divertissemens et la mission de maintenir l’ordre. C’était Jean cette fois qui était revêtu de ce joyeux honneur, et Rose lui abandonna sa petite main hâlée avec un doux sentiment d’orgueil.