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descendaient avec maître Lavène. Le départ de M. et de Mme Dutal fut vite organisé. Les malles de Nina étaient prêtes depuis la veille, et le vieux paysan eut bientôt attelé le Gris à la carriole.

Marcel, qui ne savait pas mentir, balbutia assez mal quelques mots de regret sur la maladie de la tante de Nina ; puis, après un salut cérémonieux échangé entre les deux jeunes gens, maître Lavène fît claquer son fouet, et la petite charrette partit au milieu d’un rassemblement nombreux de commères, qui ne quittèrent la place que satisfaites par une longue explication de Madeleine sur les motifs du prompt départ de ses invités.

Noélie était assise, le lendemain, sur la terrasse qui domine le château de Saint-Loup. La jeune fille, pensive, ne tournait plus les feuillets du livre posé sur ses genoux. Elle fixait un œil rêveur sur la mince ligne bleue qui se confondait avec le ciel à l’horizon : cette ligne bleue, c’était la Méditerranée. Ce qui absorbait ainsi Noélie, était-ce la vue de cette immensité ? était-ce le calme mélancolique qui pesait sur les guarigues ? était-ce la chaleur lourde qui, comme un réseau de plomb, s’étendait sur la nature ? Elle l’ignorait elle-même et n’interrogeait pas ses sensations. Un premier amour, chez une jeune fille naïve, éveille une sorte de remords. Une inquiétude, un saisissement étrange envahissent tout son être. Elle n’a pas encore assez la conscience du sentiment qui l’agite pour le confier à l’amitié ; elle ne sait pas ce qui la fait rougir, tressaillir, rêver le jour et veiller la nuit, et si une tendresse amie veut le lui apprendre, elle se refuse à cette révélation avec une sorte d’effroi.

Mme de Presle vint arracher sa fille à sa rêverie. — Noélie, lui dit-elle, je viens te chercher, M. Marcel est au salon. Réellement il est impossible d’être plus poli que ce jeune homme. Il est venu, malgré la chaleur, m’apporter les plus beaux fruits de son jardin.

Aux premiers mots de sa mère, Noélie était devenue aussi rouge que les dahlias qui étalaient au soleil leurs pétales empourprés. Elle suivit silencieusement Mme de Presle. La vieille dame fit visiter son château à Marcel, puis elle l’engagea à dîner. Hector, qui revenait de la chasse, joignit ses instances à celles de sa mère ; mais ce fut un regard de Noélie qui seul décida le jeune Lavène à accepter cet honneur. Après le souper, on fit de la musique. Marcel avait une jolie voix de ténor, une de ces voix sympathiques que fait éclore l’ardent soleil du midi. Noélie chanta quelques morceaux de sa petite voix douce, qui était en si complète harmonie avec sa frêle organisation. Hector possédait une solide voix de baryton, qui retentissait en échos sonores sous la large voûte du salon de Saint-Loup. Mme de Presle avait un talent réel d’accompagnateur ; chacun remplit dans ce concert improvisé son double rôle d’exécutant et d’auditeur. La soirée s’écoula ainsi agréable et rapide pour tous. La