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regards sur les nombreux villages qui s’étalaient à leurs pieds. Tous deux se laissaient aller à l’existence sereine et charmante que leur faisait le sort. C’était un pur et chaste amour qui grandissait à l’ombre, et que nulle crainte ne troublait.

Une petite source fraîche et limpide murmure à mi-côte du mont Saint-Loup : c’était là, dans une espèce de grotte aux parois tapissées de stalactites humides et brillantes, qu’ils aimaient surtout à prolonger leurs causeries. La jeune fille avait une candeur adorable. Elle était aussi paisible et aussi confiante dans ce petit antre mystérieux que dans le parc du château, sous les yeux de sa mère ; de son côté, Marcel, ému, n’osant pas fixer ses regards sur sa jeune compagne, les reportait vers son image, qui flottait dans l’eau transparente de la source. — Échos chéris de la grotte, avez-vous redit le langage de ces deux cœurs ? Murmure cristallin d’une eau pure, avez-vous répété leurs doux accens ? Feuillage léger du capillaire, avez-vous conservé dans vos fines et gracieuses découpures le parfum qui s’exhalait de ces deux âmes ? Miroir de l’onde, avez-vous révélé ces regards brûlans qui se perdaient sous votre fuite rapide ? Rainette bavarde, avez-vous raconté au milieu des roseaux, dans votre concert du soir, les chastes rendez-vous de la grotte de Saint-Loup ?

Un jour, au retour de la promenade quotidienne des jeunes et timides amans, lorsque Marcel se fut retiré, Mme de Presle dit d’un ton sévère à sa fille qu’elle allait écrire au jeune docteur pour le remercier de ses soins, car il n’était plus convenable qu’il se présentât au château. Noélie rougit ; sans oser interroger sa mère, elle alla cacher sa confusion et ses larmes sous ses rosiers discrets. La pauvre enfant sentit son cœur se déchirer, et pour la première fois elle se demanda si son poétique amour ne se briserait pas contre les préjugés du monde et l’ambition maternelle.

D’un accent courroucé, maître Lavène annonça à son tour à son fils qu’il venait de tout apprendre, et, assurant que Mme de Presle ne consentirait jamais à lui accorder la main de sa fille, il l’exhorta assez brutalement à oublier Noélie. Il lui parla en revanche de Nina en termes chaleureux, et termina en disant qu’il fallait au plus tôt aller à Grabel pour demander solennellement la fille du notaire en mariage. Une autre nouvelle vint bientôt mettre le comble au désespoir de Marcel : Mme de Presle avait décidé qu’on passerait l’hiver à Nice, car les brouillards de Paris ne convenaient guère plus à la faible organisation de Noélie que les vents âpres et irritans des landes sauvages de Fabriac.

Mos de Lavène, alarmée de la tristesse de son fils, se disait que peut-être Mme de Presle sacrifierait l’orgueil de son rang au bonheur