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de nos denrées, nous le porterons à Marcel. Comme il sera surpris et heureux de nous voir !

À l’heure où une brume épaisse enveloppait le village d’un manteau grisâtre, les deux femmes commencèrent les apprêts de leurs frauduleuses cargaisons, car Madeleine, redoutant le blâme de son mari, recommanda à Rose d’agir avec prudence. La bonne mos porta sous sa mantille les fagots de sarmens qu’elle entassa dans la petite cour de Rose, tandis que la jeune paysanne, avec l’adresse et les précautions d’un contrebandier, enlevait à la barbe de son oncle de nombreuses bouteilles de vin et de vinaigre. Les deux femmes eurent de la peine à hisser le tout sur leurs montures, et il fallut se résigner à suivre à pied les ânes, déjà surchargés de mille bagages lourds et gênans.

Pendant qu’au village Madeleine terminait joyeusement les apprêts de la petite cargaison destinée à son fils, Marcel se désespérait à la ville, car toutes ses ressources s’étaient peu à peu épuisées, et il ne pouvait remettre à ses juges sa thèse, faute d’argent pour la faire imprimer. Marcel avait loué à Montpellier une chambre plus que modeste dans la Rue-Basse, illustrée par le séjour qu’y fit Jean-Jacques Rousseau. Il n’avait pour perspective qu’un vieux mur qui lui dérobait presque entièrement la vue du ciel. La chambre du jeune homme réalisait complètement les conditions d’obscurité que semblaient s’être proposées autrefois les architectes du midi ; elle était humide comme un caveau. Le jeune homme contempla un matin d’un air éperdu le rosier que lui avait donné Noélie. Il s’étiolait sur son étroite fenêtre, et semblait tendre vers lui ses fleurs pâlies par l’ombre, ses feuilles jaunies par la privation de l’air. — Hélas ! pensait Marcel, lorsque ma fiancée viendra cueillir sa couronne nuptiale, elle ne trouvera ni roses ni époux ! — Cependant il cachait avec soin à Noélie la fâcheuse position dans laquelle il se trouvait. Sa fierté repoussait l’idée de demander à Mme de Presle la somme nécessaire pour faire imprimer sa thèse, et les lettres de Noélie arrivaient toujours gracieuses et confiantes ; c’était le gazouillement d’une jeune âme qui s’épanouit au soleil, à la santé, au bonheur et à l’amour.

Un jour, faisant sur lui un effort suprême, le jeune homme résolut d’aller implorer la générosité d’un vieux docteur fort riche qu’il avait connu autrefois, et qui avait paru s’intéresser à ses travaux. L’amour seul pouvait lui donner la force de tenter et de supporter une pareille démarche. Il se présenta chez M. Rinas (c’était le nom du médecin), mais on lui dit qu’il était parti depuis quelques jours pour aller soigner un de ses amis en Dauphiné. Marcel s’en revint plus triste et plus découragé que jamais, et vers le soir il se jeta sur son lit, tâchant d’étouffer ses sanglots dans son oreiller.