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plaines immenses couvertes de mil et de maïs dont les tiges atteignaient plusieurs mètres de haut ; il pressentit toutes les ressources qu’offrirait un tel pays à une administration bienveillante et intelligente. Craignant une baisse subite des eaux, M. Flizes redescendit la rivière et regagna Sénédébou, d’où il se dirigea, à la tête d’une compagnie de vingt-cinq matelots, vers Médine, en traversant de l’ouest à l’est tout le Bambouk. À Farabana, il reconnut les traces du fort de Saint-Pierre, érigé en 1715 par ordre de Brüe. En lui montrant ces ruines, le chef du village lui exprima le désir de les voir relever. « Lorsque les Français, lui disait-il, seront établis dans notre pays, nous n’aurons plus rien à craindre de nos ennemis, parce que les Français sont les maîtres partout maintenant, et que là où ils sont le pays est fort. » Puis, prenant la main de l’officier et la portant à son front en signe de respect et de soumission, il ajoutait : « Si le gouverneur veut venir exploiter nos mines, il en est le maître, nous sommes à lui ; qu’il indique le point où il veut les exploiter, soit à Kaniéba, soit ailleurs, nous sommes prêts à lui obéir. »

Celui qui tenait ce langage était Bogoul, un des chefs les plus considérés de l’espèce de république fédérative que forme le Bambouk. Ainsi la France recueillait la récompense de cette politique humaine et juste envers les peuples inférieurs, qui constitue son véritable génie de colonisation. Partout, du reste, M. Flizes retrouva des sentimens pareils, et s’ils ne se traduisirent pas en propositions aussi avantageuses, nulle part, au sein de ce pays réputé inabordable et semé de périls, il ne rencontra d’hostilité. On doit peu s’en étonner. Dans les sociétés informes, dont l’anarchie violente constitue l’état habituel, les blancs inspirent, quand ils savent régler leurs paroles et leur conduite, un respect instinctif qui s’élève jusqu’à l’admiration, parce qu’en eux se personnifient les idées d’ordre et de puissance. Entre tous les étrangers, les Français ont toujours été les mieux reçus au Bambouk. Les Anglais de la Gambie ont en vain tenté d’y pénétrer : ils n’ont pu s’y consolider.

Dès que les bonnes nouvelles recueillies par M. Flizes dans son voyage furent parvenues à la direction des colonies à Paris, les projets sur le Bambouk, rêve de tous les gouverneurs du Sénégal depuis plus de cent cinquante ans, parurent dignes d’examen, et l’on s’inquiéta sérieusement de les mettre à exécution. Par ordre du ministre, des négociations furent reprises avec les chefs du Bambouk pour fixer les conditions de l’établissement à la fois militaire et commercial des Français. Le ministre de la marine, d’accord avec celui de la guerre, désigna un capitaine du génie, M. Maritz, pour la direction de l’entreprise. Une somme de 170,000 francs fut inscrite au budget de 1858 pour la construction de deux forts, l’un à Kaniéba, l’autre à Samba-Yaya, à quelques lieues de distance, sur la