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populations, les langues de l’Afrique. Sans leur concours, il sera probablement très difficile, sinon impossible, d’atteindre, — ce qui doit être le point de mire de la science et de la politique plus encore que du commerce, — la ville de Tombouctou, et de pénétrer par elle dans tout le Soudan : dernier service que le Sénégal doit nous rendre.

Dans le cours de cette étude, nous avons déjà nommé cette cité mystérieuse qu’un voyageur français, René Caillé, eut la gloire d’aborder le premier entre tous les Européens dès 1827. La conquête de l’Algérie, en nous ouvrant les portes septentrionales du Sahara, nous invitait à recueillir, comme un legs d’honneur, l’héritage de l’intrépide aventurier, et à explorer en détail le pays qu’il n’avait fait que traverser. Dans cette recherche, la France s’est laissé devancer par l’Angleterre, qui a dirigé sur Tombouctou ses missionnaires et ses voyageurs, au nord par la route de Tripoli, à l’ouest par celle du Niger. À défaut de ses citoyens, elle a provoqué et récompensé le dévouement de la science allemande, et, pour ne remonter qu’à ces dernières années, l’on a vu, en compagnie ou à la suite de Richardson, les docteurs Owerweg, Barth, Vogel enfin, sillonner le Soudan de leurs courses[1]. Le docteur Barth a eu l’heureuse chance d’atteindre Tombouctou et d’y séjourner plusieurs mois, et c’est à Londres qu’il publie ses découvertes, aux frais et à l’honneur de l’Angleterre[2]. En France, nul autre appel n’a retenti que celui de la Société de géographie, promettant un prix de 5,500 francs au premier voyageur qui se rendrait d’Alger au Sénégal en passant par Tombouctou : trop modeste indemnité pour les périls et les frais d’un tel voyage.

Cependant, Tombouctou et le Soudan n’étant pas tombés dans le domaine des voyages vulgaires, il est temps encore pour la France de paraître avec dignité dans ces contrées dont l’imagination exagère la distance réelle. D’Alger à Tombouctou, il y a six cents lieues ; de Saint-Louis à Tombouctou, moins de quatre cents. Des deux côtés, nous atteignons presque, par nos avant-postes, à la moitié de la route. Sur la ligne d’Alger, nous touchons, par les Chaamba, qui nous paient tribut, à l’oasis du Touat, et le Sahara s’ouvre amicalement à notre curiosité depuis que les Touaregs sont venus nous offrir leur alliances Du côté du Sénégal, la route paraît moins longue, moins embarrassée d’obstacles naturels, car Médine, le dernier

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1858.
  2. M. Faidherbe raconte, dans un de ses mémoires scientifiques sur la Sénégambie, qu’il a vu à Saint-Louis un noir qui avait rencontré à Tombouctou le docteur Barth, et lui avait demandé ses commissions auprès du gouverneur du Sénégal. Le docteur avait refusé, disant : « Je suis Anglais, non Français. »