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l’établir en France. En sommes-nous là ? Il ne s’agit point de savoir si la prohibition, qui tient encore tant de place dans le tarif français, ne devrait pas être supprimée, si la protection du travail national n’est pas excessive et s’il n’y aurait pas intérêt à tempérer dans une forte mesure les rigueurs de notre système économique. Cette question est résolue pour tous les bons esprits, et il suffirait d’énumérer les réformes de détail accomplies ou annoncées par le gouvernement depuis quelques années pour démontrer que l’administration est animée en ces matières d’un sentiment assez libéral. Ce qu’il faut considérer, ce n’est pas ce qui devrait être au gré des impatiens, c’est ce qui est. Tant que la France demeurera protectioniste, la liberté commerciale telle qu’on la propose n’a aucune chance de prévaloir en Algérie.

Et il ne faudrait pas attribuer à une puérile recherche de symétrie l’harmonie constante qui, chez tous les peuples, a été maintenue entre les tarifs métropolitains et coloniaux. Cet état de choses n’est que l’expression d’un intérêt réel, parfaitement compris de part et d’autre, le résultat d’une sage entente. On a eu raison de critiquer les folies de l’ancien système colonial, parce que, dans le pacte tel qu’il était encore exécuté au commencement de ce siècle, les conditions n’étaient point équitablement réglées : la métropole, qui dictait la loi, l’avait faite dure et tyrannique ; mais ce même système pratiqué modérément, avec les exceptions et les tolérances nombreuses qu’il comporte, ne mérite point tous les anathèmes qui ont été prononcés contre lui. De quoi s’agit-il en effet ? La métropole assure à ses colonies un marché privilégié pour leurs récoltes, et elle demande en retour que les colonies consomment de préférence ses produits fabriqués. Le principe de cet arrangement est logique, et les colonies elles-mêmes l’ont fréquemment invoqué. Voudrait-on chercher un argument dans les réclamations qui, à certaines époques, sont émanées des assemblées législatives ou des chambres de commerce des colonies relativement au régime commercial ? Si l’on étudie le sens vrai de ces réclamations, on voit qu’elles s’appliquent le plus souvent à la violation même du contrat, par exemple à la concurrence tolérée du sucre de betterave, ou qu’elles ont pour objet d’obtenir, dans un intérêt d’alimentation, de trafic local ou de rapports avec quelques pays voisins, certaines dérogations partielles à la loi fondamentale. Malgré les modifications profondes qu’a déjà subies l’ancien pacte, il reste encore dans notre législation coloniale des restrictions à supprimer, des entraves à alléger ; mais en définitive les colonies tiennent par-dessus tout à la conservation du débouché métropolitain : elles consentent à sacrifier, en vue de cet intérêt supérieur, une portion de leur liberté, et elles ne partagent pas entièrement la confiance de leurs conseillers officieux quant aux avantages qu’elles obtiendraient sur les marchés étrangers. De même que la métropole se condamne à payer plus cher les sucres, les cafés et les autres produits tropicaux qu’elle achète aux colonies, au lieu de se pourvoir au dehors, de même les colonies se résignent à recevoir de la métropole, sauf à les payer également plus cher, les articles manufacturés.