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« Elle se recueillit un instant, comme si elle eût appelé à son aide toutes les forces de son âme. — Que ta volonté s’accomplisse ! me dit-elle ; mais sa paupière abaissée laissait par momens échapper des éclairs de fierté. Le malheur n’avait point ébranlé sa foi. Elle était convaincue que Mac-Fy vengerait sa race, et donnerait, en l’enlevant durant la route, une preuve nouvelle de sa puissance.

« Grâce au ciel, il n’en fut rien ; le bandit ne se montra point, et le soir, lorsque je descendis de cheval après avoir accompagné les femmes, pour plus de sûreté, durant une partie du chemin, aucun des serviteurs que j’interrogeai ne put me donner la moindre nouvelle de Mac-Fy.

« Duncan, le plus vieux de mes forestiers, était parti sans m’attendre. C’était à lui que je comptais confier le fils de Mac-Fy ; son absence me surprit, et je l’envoyai chercher sur-le-champ : il me semblait que lui seul était instruit des projets du bandit. Lorsque ma parole l’eut rassuré, Duncan, qui ne voulait point d’abord répondre à mes questions, m’avoua en effet que Mac-Fy avait consolé son cœur près de son ancien compagnon. Et, voyant mon étonnement : — Votre honneur l’ignorait ? Oui, peut-être ai-je eu tort de ne point lui faire savoir que nous avions été unis… Ah ! reprit-il après un instant de silence, comme si l’image du passé fût venue se présenter à son esprit, il y a bien longtemps de cela, mes cheveux sont blancs maintenant, et mon bras commence à faiblir, mais alors mes cheveux étaient blonds, et mon bras ne connaissait pas la fatigue.

« J’étais seul alors au cottage ; les soirées d’automne sont longues. Aussi, me gardant bien d’interrompre Duncan, qui paraissait disposé à conter, je fis avancer un siège, et pour achever de le mettre en belle humeur, je lui versai un grand verre de whisky toddi[1]. Nous formions alors un groupe que le pinceau d’un peintre n’aurait pas dédaigné. Mon vieux Duncan était assis dans un fauteuil de jonc ; ses pieds, chaussés de larges souliers de chasse, s’appuyaient contre la grille en fer poli du foyer, pendant que, le coude sur la table, la tête penchée sur sa main nerveuse, il regardait d’un œil de contentement la boisson fumante. La lumière de la lampe placée sur la cheminée, en tombant d’aplomb sur son front couvert d’épaisses couches de hâle, faisait ressortir son énergique physionomie. J’admirais la rudesse de ses sourcils, la carrure de son visage, ce cou de taureau qui semblait se souder aux épaules, et je m’étonnais du franc et bon sourire qui entr’ouvrait ses lèvres épaisses. Malheur pourtant à l’imprudent qui aurait excité ses ardeurs mal contenues ! Il aurait promptement senti le poids de son bras musculeux et de sa lourde

  1. Le whisky toddi est une espèce de grog très estimé des chasseurs.