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plus. Les insurgés passèrent près de lui, le croyant toujours devant eux : ils firent feu dans la direction que, selon toute probabilité, il avait dû suivre. Lorsqu’ils eurent perdu l’espoir de l’atteindre, ils se concertèrent pour lui couper le chemin de la ville. Leur ennemi les avait prévenus ; il arriva aux avant-postes français avant eux. Son salut était à ce prix ; mais l’approche de ces avant-postes allait l’exposer à un double danger. S’il avait à redouter la rencontre des insurgés, il ne devait pas moins craindre les balles des sentinelles françaises. Son intelligence trouva réponse encore à ce dilemme : il se glissa avec précaution et en rampant le long du sentier jusqu’à ce qu’il fût à portée de voix de la première sentinelle. C’était là le moment critique. Au lieu de se redresser brusquement, il s’étendit à plat sur le sol, et, sans bouger de cette position, cria au factionnaire qu’il était porteur d’une lettre du commandant de la rade. On s’avança vers lui, et on s’empressa de le conduire dans l’intérieur de la place.

Les renforts que j’avais demandés ne se firent pas attendre. Le lendemain matin, la goélette la Flamme, accompagnée de l’aviso que j’avais expédié au Port-au-Prince, m’apporta cent hommes de troupes de ligne. Je pris toutes mes dispositions pour une attaque de vive force. La Mignonne s’embossa devant la plage : son artillerie, qui commandait la route de Léogane à Port-au-Prince, battait également tout l’espace compris entre la batterie tombée au pouvoir des insurgés et un grand village dans lequel de nombreux tirailleurs se tenaient embusqués. Le brick l’Arcole, arrivé depuis cinq ou six jours sur rade, fut mouillé le plus près possible du rivage, et spécialement chargé de protéger le débarquement. La goélette la Flamme, l’aviso et la chaloupe de la Mignonne, postés de l’autre côté de la batterie, la prenaient à revers, et coupaient la retraite aux insurgés. Je joignis à la nouvelle troupe placée sous mes ordres soixante marins dont je confiai le commandement à un enseigne de vaisseau qui m’avait en mainte occasion appris à compter sur son sang-froid et sur sa bravoure. Toutes ces mesures prises, je signalai à la ville de Léogane que j’allais attaquer les révoltés, afin que la garnison pût agir de son côté.

En abordant la côte, nos embarcations furent assaillies par une fusillade très vive partant d’un retranchement que les insurgés avaient creusé dans le sable pendant la nuit. Quelques hommes furent blessés ; dans le nombre se trouva l’officier qui commandait les soldats d’infanterie. Je m’aperçus qu’il y avait de l’hésitation parmi nos hommes, que personne ne débarquait, et que le moindre retard pouvait avoir les suites les plus graves. Je me jetai aussitôt dans mon canot, et j’arrivai au milieu des nôtres ; l’enseigne de vaisseau qui commandait nos marins et le commis aux revues de la frégate, qui m’accompagnait