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entendues. Le fait est que la guerre était déclarée depuis dix jours ; mais les escadres britanniques étaient prévenues du moment où elles devaient ouvrir les hostilités avant même que lord Whitworth eût demandé et obtenu ses passeports. C’est ainsi que la plupart des bâtimens expédiés de Saint-Domingue avec des effectifs réduits tombèrent entre les mains d’un ennemi trop prévoyant pour ne pas s’exposer à être quelquefois déloyal. Un vaisseau, sept frégates, deux corvettes et un lougre furent capturés du 28 mai au 30 novembre 1803.

J’avais souvent entendu citer la discipline de la marine anglaise : si j’avais dû en juger par ce qui se passa dans cette circonstance à bord de la Mignonne, il m’en serait resté une bien triste idée. Nous fûmes indignement dépouillés. Les officiers se livrèrent les premiers au plus honteux pillage. Les meubles de ma chambre furent brisés, les armoires enfoncées, et je vis ma cave mise à contribution séance tenante. On ne se donnait même pas la peine de déboucher les bouteilles ; on en faisait tout simplement sauter les goulots. Pendant ce temps, les canotiers s’enivraient de leur côté à la cambuse. Faut-il l’avouer ? cette indigne conduite fut une consolation pour moi. Je me sentis heureux d’avoir le droit de mépriser mes vainqueurs, et de pouvoir garder contre eux au fond du cœur de nouveaux motifs de haine. Voilà où nous en étions en 1803. French dogs et chiens d’Anglais n’étaient pas de vains mots. Nous avions les uns pour les autres une horreur profonde, et nous nous serions dévorés, si sept lieues de mer n’eussent coulé entre nous. Quand de pareilles passions ont pu se calmer, sinon s’éteindre complètement, qui oserait encourir la responsabilité de les rallumer ?

Je fus transporté à bord du vaisseau le Minotaur. Le capitaine Mansfield, qui le commandait, vint me recevoir au haut de l’escalier. Il m’adressa cette phrase banale : fortune de guerre, à laquelle je répondis par cette autre, non moins vraie : malheur aux vaincus ! J’en faisais en effet la triste expérience. En passant de ma frégate à bord du vaisseau, j’avais été inondé par une lame qui avait failli engloutir le canot qui me portait. De tout ce que je possédais, je n’avais sauvé qu’une très petite malle que mon domestique avait eu l’adresse de soustraire à la rapacité des spoliateurs. Cette malle ne contenait que quelque argent et des papiers. Le capitaine Mansfield s’étonna de la modicité de mon bagage. Il envoya un officier, accompagné de mon domestique, à bord de la frégate pour y prendre mes effets ; mais on ne retrouva plus que quelques-uns de mes vêtemens à demi lacérés. Mon linge, mon argenterie, ma vaisselle, tout avait disparu. Une visite fut faite dans les sacs des matelots du Minotaur. On retrouva ainsi deux chandeliers qui m’avaient appartenu.